vendredi 2 novembre 2012

L'appel des esprits de Émile ÉLOMON : Et si l'Afrique refusait le développement

Colonel de gendarmerie, Émile Élomon, passionné de Lettres, certainement pour avoir le même patronyme qu'un autre Élomon, Bertin Barth cette fois, connu avec le recueil de nouvelles, La chamaille, a longtemps cherché à mettre en application les théories assimilées en Russie à l'école des télécommunications où il a appris à écrire des scenarii pour cinéma. Mais ayant la littérature en héritage familial, il a fini par choisir le genre qui le plus, se rapproche du cinéma : le théâtre. Les Éditions Plumes Soleil ont eu le privilège d'éditer cet ouvrage qui, à maints égards, conscientise, tellement les tares énormes de l'Afrique y sont étalées et dénoncées. Mais de quoi s'agit-il en réalité ?

Résumé de la pièce
Intitulé l'Appel des Esprits, la pièce de théâtre de 66 pages a connu une évolution linéaire claire et simple. Gbeffa, Un père au soir de sa vie, soucieux de sa succession et respectueux de la tradition, convoque une réunion familiale où il est question de faire appel par tous les moyens notamment les esprits, à Dossou, son fils aîné résidant en Europe depuis des décennies, afin que celui-ci puisse retourner s'installer au pays. Mais cette idée ne plaît pas à tous les enfants de Gbeffa surtout à Amangbe qui convoitait le poste de chef de famille après la mort du patriarche. Gbeffa tient bon et des cérémonies propitiatoires sont faites à l'endroit de Dossou dont la renommée sur le plan mondial n'est plus à démontrer, en témoigne une conférence internationale qu'il a animée devant un parterre de ministres venant de plusieurs pays. C'est justement grâce à ce talent que le vœux de son père sera exaucé. Le président d'Ajooka, pays d'origine de Dossou, en difficulté économique chronique parce que victime de plusieurs malversations , fait appel à Dossou pour redresser l'économie du pays en mal. La foudre tombe sur les ministres qui se sentent menacés par l'arrivée de l'expert Dossou. Celui-ci ne tardera certainement pas à découvrir les nombreuses situations de mauvaise gouvernance dont ils sont auteurs. Les malheurs de Dossou loin de se limiter à la colère de ses frères qui le traitent d'usurpateur s'élargissent aux ministres de la république. Ils n'ont pas hésité, comme l'ont déjà fait les frères, à solliciter les services d'un Boconon pour en finir définitivement avec lui. À ces deux feux s'ajoutent celui de sa femme, Sophie, européenne restée chez elle avec les enfants en attendant les vacances. Elle s'amourache d'un sénégalais, Diouf Chen dont elle porte l'enfant après quatre mois de liaisons. Elle voulut informer Dossou de sa nouvelle situation matrimoniale. Mais à peine Dossou finit t-il de lire la lettre de Sophie qu'il s'évanouit, devenant un obstacle en moins pour les ministres et ses frères, mais constituant une énorme perte pour son pays avec tant de valeurs emportées avec lui dans la tombe.



La structure formelle de L'œuvre

La pièce L'appel des esprits se présente non pas en Actes comme les classiques, mais en Appels. L'isosémie constructive amène à comprendre justement que chaque partie fait un appel. L'appel des parents de Dossou, l'appel de Dossou à la prise de conscience des africains, l'appel du président de la république, et enfin le grand appel de Dossou vers l'au-delà par les Esprits.
Loin des classiques également toute règle d'unité de temps et d'action. Les lieux se sont multipliés ; du village Midas à Adjooka en Europe, en passant par le palais présidentiel, le salon d'honneur de l'aéroport, les divers domiciles des Boconon etc..., on ne peut en aucun cas parler de cette règle. Et puis, rien qu'à lire la lettre de Sophie, on se rend compte que le temps n'est pas unique parce que dépassant largement les vingt quatre heures réglementaires.
La répartition des personnages, largement supérieurs au nombre qu'on pourrait s'imaginer pour un théâtre qui se veut moderne, se présente comme suit par Appel et par scène :





Personnages
Appel 1er
Appel 2ème
Appel 3ème
Appel 4ème
Appel 5ème
Total
1
2
3
1
2
3
1
2
3
1
2
3
1
2
3

Père Gbeffa
4 x









3x




7x
Amangbe
2x

4x








3x


1x
10x
Biowa
1x














1x
Dansy

1x













1x
Les épouses Gbeffa

1x













1x
Nonvignon


1x








1x



2x
Hlonon


1x












1x
Ayaba


1x








1x



2x
Dossou



11x
2x

8x


3x
3x


4x

31x
Sophie



10x


8x








18x
A. Michouliou




1x










1x
Issa Babilar




1x










1x
Galyba Siméon




1x










1X
Le Président





1x






1x


2x
Adaka Félix







1x

1x




1x
3x
Adjet Amou







1x







1x
Yedassomon







1x







1x
Ekammy C Rodophe







1x







1x
Sigbet Francis







1x







1x
Dadavodoun








1x






1x
Hovivi









1x





1x
Awovi









1x





1x
Ifeidoun










1x




1x
Sodja Louis










1x




1x
Gbetô










3x




3x
Zékpété











1x



1x
Sittha













5x

5x
Inspecteur Gutembert













2x

2x
Dossa














1x
1x

107 répliques au total qui révèlent le rôle principal confié à Dossou. A lui seul, 31 prises de parole. Les personnages à une réplique sont nombreux: l'auteur, certainement soucieux de rendre compte fidèlement de la réalité et animé du désir de projection et non de représentation a voulu peut-être faire intervenir plusieurs couches sociales. Ce rôle prépondérant de Dossou montre cependant combien l'auteur tient, à partir de son exemple à justifier le sous-développement criard de l'Afrique qui malgré les ressources minières et surtout humaines de qualité reste encore et toujours à la traîne.

Le refus de développement
L'appel des esprits, dont la fin irrite la plupart des lecteurs surtout avec la mort du héros Dossou, relève pourtant d'un réalisme patent. Que de cadres l'Afrique a perdu dans de telles conditions mystiques ? Que de fatuités n'a -t-on pas servi comme arguments pour priver un pays d'un éminent technicien de développement ? Que de projets salvateurs auraient pu voir le jour si, les mains noires, pour des intérêts particuliers et égoïstes n'avaient pas tout fait pour mettre fin aux jours de leurs initiateurs?
Certains cadres agissent comme si après eux ce devait être le déluge. Tout est alors mis en branle pour constituer un obstacle sérieux au développement du pays. Dossou, naïf, ne pouvait jamais s'imaginer que rentrer chez lui avec de bonnes intentions et parce qu'appelé à la rescousse par le Président de la République lui-même, il allait se retrouver dans un cercle à trois feux.

Le cercle des feux
La pièce s'ouvre sur une famille qui s'attend à passer d'une génération à une autre puisque, le chef, fatigué, presque mourant, est décidé à passer la main, mais à la personne indiquée, avant d'aller rejoindre les aïeux. Sa logique est claire, la tradition doit être respectée quoi que cela puisse coûter. C'est dans ces circonstances que le nom de Dossou, envoyé en France grâce à l'aide d'un religieux, a été évoqué. Aîné de la famille Gbeffa, il devra en assurer les destinées après le départ de son père. C'est pourquoi, les mânes des ancêtres ont été sollicités pour l'« appeler ». Une pratique courante en Afrique où, le fils exilé, qui manque à la famille, est ramené presque manu militari, puisque, là, c'est contre sa volonté. Des subterfuges mystiques sont utilisés et d'une manière ou d'une autre, « l'enfant » rentre. Mais les conséquences de cet acte ne sont pas toujours bonnes à raconter. C'est bien normal que ce retour de Dossou déclenche des hostilités morbides, d'abord du côté de ses frères, ensuite de celui de ses collègues du gouvernement.
Les difficultés de Dossou ont commencé en effet dès lors même que cette possibilité de son retour a été évoquée. En réalité, Amangbe, demi-frère cadet de Dossou, n'entend pas respecter les désirs de son géniteur. Il convoitait depuis longtemps le poste et l'idée qu'un autre, fût-il son frère aîné, puisse lui ravir la vedette, le mit dans tous ses états. Il n'a pas hésité à prendre les propos de Gbeffa pour délires et trouver incongrue la proposition faite :
« Notre père est vieux. Il ne sait plus ce qu'il dit. Sinon, comment peut-il oser dire que c'est à Dossou qu'il passera la main. »
Si déjà le père subit ce traitement verbal de sa part, on conçoit aisément que Dossou, resté longtemps loin de lui, ne représentera pas grand chose à ses yeux et, qu'attenter à sa vie par des forces occultes ne serait qu'une simple formalité . Et les alibis deviennent faciles. Des futilités qui conduisent à la consultation du grand féticheur AYIDAGBA. Morceaux choisis des idioties des frères  et du féticheur:
« Amangbe : Il revient vingt cinq années après pour prétendre être l'héritier de la famille Gbeffa. Qui pourra accepter cette injustice? »
Amangbe : Depuis l'arrivée de Dossou, sa mère ne fait que lorgner ses coépouses. Elle change trois pagnes dans la journée pour se moquer de nos mamans. »
Nonvignon : Notre père qui n'a plus la force pour parler rit à gorge déployée avec Dossou »
« Ayaba : Nous ne représentons plus rien aux yeux de notre père »
« Zékpété : Les sages du couvent ont unanimement retenu qu'un homme qui adopte un comportement aussi hautain comme vous l'aviez décrit ne mérite que la mort. »

Dans un pays sous-développé où le concours de tous, notamment des bonnes têtes est souhaité pour la conjugaison des efforts en vue d'un essor certain, aucun motif sérieux n'est encore donné pour condamner un homme à mort. Mais la mentalité de ces personnages, loin de relever de la fiction se révèle purement réaliste, puisqu'elle est identique à celle des peuples africains. Le nombre de cadres béninois, partis dans ces conditions mystérieuses, rien que pour avoir voulu bien gérer leur pays est énorme. L'exemple du ministre Lazare Kpatoukpa reste encore gravé dans les mémoires. Le cas Akobi est également là et le pays a failli perdre son premier ministre de la transition en 1990 si une vigilance accrue n'avait pas été observée. Le nouvelliste Apollinaire AGBAZAHOU dans Adonis sacrifié, fait d'ailleurs remémorer cette triste période de notre histoire qui a failli tourner au drame.
Et c'est ce qu'on n'arrive justement pas à expliquer. En effet, si l'on comprend que les frères de Dossou parce qu'illettrés, ne mesurent pas à leur juste valeur les qualités de Dossou, on conçoit mal que des intellectuels, des commis de la nation, des gens qui ont prêté serment pour sauver la patrie se mettent eux aussi à calomnier le pauvre Dossou.
Adaka Félix, Adjet Amou, Yedassomon Henri, Ekanmy Codjo Rodolphe, n'ont pas, eux non plus, hésité à faire recours aux forces occultes pour presque les mêmes motifs. Même l'intervention de leur collège Sigbet Françis n'a pu rien contre leur furie.
En réalité, vu les échos positifs de Dossou depuis l'extérieur, le président d'Adjooka a voulu utiliser ce compatriote pour redresser l'économie du pays. Ce qui fut fait. Mais c'est oublier que la bonne gestion du pays ne peut arranger les corrompus qui ont construit leur fortune énorme à l'ombre des détournements, des prévarications, de la gabegie, de l'ethnocentrisme et du régionalisme. De conciliabules en conciliabules, Dadavodoun a été consulté. Le verdict également est sans appel. Motif, « Dadavodoun : … c'est grâce à ces ministres d'Adjooka que nous autres nous avons notre pitance quotidienne. »
Au non de leur pitance donc, le peuple entier peut croupir de faim, subir le diktat de ces corrompus aux appétits voraces. C'est pitoyable ! Beaucoup oublient qu'on n'a pas besoin de ces coups bas pour réussir et que seul le travail bien fait, valorise l'homme. Mais c'est bien dommage que cela soit la triste réalité.
Le troisième feu qui encercle le docteur Dossou est bel et bien celui de Sophie, présentée comme sa femme. En effet, à peine a-t-il quitté l'Europe que Sophie s'est mise avec un autre homme, qui plus est l'un de ses amis de Dossou. Deux mois de séparation et cela a suffi pour justifier un abandon de domicile. Deux mois de séparation et une relation plus sérieuse que celle qu'elle a vécue avec Dossou. Deux mois de séparation et une grossesse, deux divorces s'en sont suivis. Tout porte à croire que Sophie était bien l'amante de ce Diouf Tchen au moment où Dossou était là, et que la paternité des deux enfants qu'ils ont eus en commun peut faire l'objet de doute.
Cette lettre, élément déclencheur du coma puis de la mort de Dossou n'aurait jamais dû lui parvenir. Surtout qu'elle prononce une rupture brusque et définitive. Comment comprendre que la femme avec laquelle, des années de vie commune sont vécues, avec qui on a eu des enfants, puisse se lever un matin et décider de mettre une croix sur tout ? C'est douloureux et l'infarctus de Dossou est justifié car comme l'ont dit les personnages présents à cette crise, « l'amour.... ça peut tuer ».
D'un autre côté, nous n'avons pas à perdre de vue les deux premiers feux qui auraient bien pu être un élément instigateur de cette lettre. C'est vrai(qu'elle me pardonne) que la femme est un être compliqué avec des actes assassins, Isaï Biton Coulibaly m'en est témoin. Mais ici, il y a de nombreux précédents qui concourent à croire que même si Sophie a écrit cette lettre, elle n'était pas en possession d'elle même. En réalité, les deux voudounons consultés par les frères et les ministres, ont dû agir efficacement. « La guerre des choses dans l'ombre » comme le dirait Gaston Zossou, l'invisible comme l'appellerait le professeur Kpogodo a eu raison de Dossou. Cette condamnation à l'instar de celle de Jésus devant Ponce Pilate, « oui qu'il meure», n' a pas certainement été anodine. Ainsi, ou les forces du mal ont pris possession de Sophie pour lui faire écrire la lettre, ou carrément alors, elle n'a écrit aucune lettre. En effet, puisque la trame ne nous montre pas Sophie en train de rédiger cette lettre, le doute peut être permis sur la provenance réelle de cette lettre. Est-elle une réalité ou un mystère ? Tout montre que Sophie n'a été qu'un instrument aux mains des ennemis de Dossou. Puisque, certainement, les assauts précédents n'ont pas réussi, il fallait prendre par là pour l'atteindre directement.
Il y a également une réalité socio-anthropologique que cette mort révèle. Les appels dans ces circonstances ont, aux dires de certaines sources orales, toujours des conséquences néfastes sur l'appelé. C'est presque comme tout médicament qu'on utilise. Puisqu'il n'est pas venu de lui-même, il y a des effets secondaires qui agissent. Des exemples sont connus où l'individu tombe dans les travers de l'alcool, perd la raison, où se retrouve en prison. S'il est donc vrai que la pratique peut ramener à coup sûr le fils exilé, il n'en demeure pas moins évident que s'en suivent toujours des dégâts collatéraux. Ainsi, loin d'apporter de la plus value à l'économie et participer au bonheur de la famille et du pays, « l'appel » , pratique usuelle de certaines régions du Bénin tourne pour la plupart du temps au vinaigre et conduit à une énorme perte.
Ce qui arrière également l'économie des pays africains, se trouve dans cette pièce être la mauvaise gouvernance.

Une gestion approximative

La raison officielle du retour de Dossou, c'est bien les difficultés de trésorerie que connaît le pays Adjooka. Le constat du président est sans ambiguïté : « Vous savez avec moi que les finances s'amenuisent de jour en jour dans le pays. Plusieurs entreprises ont fermé leur porte en augmentant le nombre de chômeurs déjà inquiétant. Plusieurs mois de salaires impayés. Les grèves, les sit-in, les marches des travailleurs deviennent le quotidien du citoyen d'Adjooka. Plusieurs ménages se sont éclatés du fait de cette crise... »
On n'est pas loin de la situation économique catastrophique présentée par les « rameurs »dans Dieu cet apprenti-sorcier de Kakpo Mahougnon. En effet, Sokpozin et Atchuta lorsqu'ils étaient chez Adjakpa, la lettre envoyée contient les germes, de la récession, due notamment à « lui » qu'il n'ont pas pu nommer. Mais si ici, les jeunes proclament l'inutilité des dirigeants en les indexant comme responsables, ce n'est pas le cas dans L'appel des esprits où c'est le président lui-même qui reconnaît la crise mais en attribue la responsabilité à des collaborateurs qui, même s'ils en sont pour beaucoup, n'ont pas pu agir sans son aval. Comment comprendre que des dizaines d'années durant, il (le président) a pu gérer le pays sans se soucier de ce que faisaient ses collaborateurs. Ont-ils pu avoir la possibilité de faire tout cela seuls ou n'ont -ils pas eu quelque part la complicité de leur chef ? Quel chef laisse perdurer une mauvaise situation alors qu'il est conscient du danger que court ainsi son peuple ? Va -t-il arguer que tous les cadres ont les mêmes mentalités et qu'il n'y en a pas qui ne puissent agir sans la délation, la corruption, le népotisme ? C'est parce qu'un chef fait confiance à un homme qu'il le nomme à un poste de responsabilité. Et de la même manière qu'il est nommé, cet individu , à tout moment doit savoir qu'il peut être démis pour une raison ou pour une autre. En réalité, le problème de l'Afrique se situe en grande partie à ce niveau où le pouvoir est assimilé à quelque chose d'éternel. Rien ne doit venir l'arracher. Le président, lorsqu'il constate les dérives de ses conseillers, fossoyeurs de l'économie du pays, il devrait savoir que l'objectif pour lequel il est élu, c'est-à-dire, la satisfaction des besoins fondamentaux de tous ses citoyens n'est pas assurée. Alors il n'avait pas à s'en prendre à eux, il doit pouvoir démissionner.
D'un autre côté, les ministres et collaborateurs immédiats, loin de s'accaparer de la richesse du pays tout le temps devraient savoir qu'une fonction politique n'est pas un métier mais un travail temporaire. « Prépare -toi une belle sortie si tu t'engages, et penses-y toujours comme si à chaque instant, elle était imminente... » a semblé dire un personnage de l'ex-père de la nation d'Aminata FALL, en guise de conseil à un présidentiable. Je pense que c'est valable pour tout poste politique. Mais ils ont fait près de quinze ans à servir un gouvernement, pratiquement trois mandats en Europe et quatre aux États-Unis. Justement combien de ministres a-t-on vus dans ces pays-là servir trois ,quatre gouvernements de suite. L'organisme humain a un seuil de fatigabilité et lorsque réellement on sert son pays avec la force physique et intellectuelle qu'il faut, je pense qu'après quatorze ans, on ne tient pas pareil discours . Le chroniqueur Ben Bechir, semble bien voir lorsqu'il affirme : « s'il bonifie le bon vin, le temps qui passe use et corrompt les hommes ou femmes de pouvoir qui l'exercent longtemps. »
Ainsi, s'en prendre à Dossou parce qu'il serait venu arracher un prétendu biberon de leur bouche est une grave erreur qu'ils ont commise.
L'auteur, s'il n'avait pas voulu rester réaliste aurait pu faire tuer ceux-là à la place de Dossou ou tout simplement faire échouer leur plan diabolique. Mais c'est la triste réalité. On n'y peut malheureusement rien. Le théâtre repose sur le principe, castigat ridendo mores, corriger les mœurs en les ridiculisant. En parler, c'est attirer l'attention, il suffit que cela obtienne une large diffusion. Beaucoup d'intellectuels qui s'adonnent à cette pratique pourront peut-être à force de lire ces pièces prendre conscience du danger qu'ils font courir à leur pays, à leur continent.
L'Afrique à force d'user de ses pouvoirs mystiques pour nuire à ses propres fils, devrait plutôt mûrir ceux -ci afin de les mettre au service de l'humanité. L'invisible qu'ils ont réussi à dompter peut contribuer forcément à développer et non sous-développer. Il suffit peut-être seulement de les rendre positifs. Comment comprendre que des gens soient en mesure de communiquer à des distances infinies, « appeler » Dossou de l'Europe par exemple depuis Adjooka sans téléphone portable, sans ligne fixe ? C'est une science qui pouvait être domptée, labellisée et rendue commerciale comme toutes les TIC, dont l'Occident et l'Asie se font maîtres. Nous n'offrons rien sur ce plan, alors que les domaines à explorer sont vastes et novateurs. Des scènes d'action fantastiques ne manquent pas dans la littérature, rien qu'à interroger, Houénou Kowanou, Gaston Zossou, on comprend, même si c'est de la fiction, que l'Afrique détient une science inexplorée qu'elle conserve de façon égoïste, où ne peuvent avoir accès que quelques privilégiés initiés. Il est vrai que même en Europe il y a des cercles fermés et que le Brevet d'invention n'est pas une innovation africaine. Mais l'histoire a montré que ce qui a contribué aux Lumières du XVIIIème français, c'est surtout le développement des idées où les expériences sont partagées. Ce qui a permis à Diderot par ailleurs de créer l'encyclopédie à cet effet. Cette ouverture est à l'origine notamment d' expériences inouïes et les créateurs d'idées n'ont pas été pour autant rangés dans l'histoire. Des produits existent, qui sont mis au service des peuples pour leur bonheur. La révolution industrielle et technologique n'aurait pas avoir lieu sans cette éclosion de la parole.
Mais ici, la parole est « embrigadée » par quelques-uns qui en font un usage pas public, mais privé. Des tentatives de révélation de la science cachée ont commencé certes avec Kakpo Mahougnon, Basile Adjou Moumouni, mais beaucoup de barrières restent à briser pour qu'enfin, le savoir africain cesse de rester à l'étape embryonnaire pour parvenir à un stade supérieur : celui du partage et de la transformation.
C'est difficile mais l'Afrique, pour son éclosion doit pouvoir passer par là. Il en va de son bonheur et de son honneur.
En révélant l'histoire de Dossou que l'on peut confondre à beaucoup de cadres, le colonel dramaturge a inauguré un grand débat que, dans plusieurs pays africains, l'on doit mener pour faire prendre conscience de la voie erronée sur laquelle nous sommes.
Mais avec quel style ce livre est-il présenté au public ?





Le style
Le style d'Émile Elomon, loin d'être réservé à un public élitiste est accessible à tout public. Seulement, étant Colonel de la Gendarmerie, on pourrait s'attendre à lire dans les pièces, des répliques où d'ancien combattant, dans un jargon purement militaire ou à l'instar du personnage de La secrétaire particulière de Jean Pliya, débiterait un langage purement circonstanciel. Hélas ! Le lecteur restera sur sa faim et se contera d'un seul passage : « SODJA LOUIS (ancien combattant)
Dans sa tenue kaki, plusieurs médailles sur la poitrine, il a porté son képi avec son galon en « V » rouge) : Zenfants de Midas, mindam minsié ! Sé glan zou pou lé village aujoudi. Note nenfant Dossou est dé rétou. Il a étidié à daka et à maseille. Oui Jé connais là bas chez toubabou où j’ai fait guê mondia 1945. Matricui 2024 tilayê sinigalê. J’ai tié beaucoup énémis. Et note nenfant Dossou a coulage pou étidié jusqu’à il a beaucoup diplômes commou toubabou. IL faut aclamê lui. (Les applaudissements). Jé démandé à tous lé zenfants de Midas dé prendi exampe sui lui. Si lui n’a pas coulage, lui né pé pas vivle lé floi et la glace paltou dans Maseille. Jé zui tlè content dé Dossou. Il faut encore acclamê lui. (Des applaudissements) Jé vous minci. »

La formation cinématographique reçue par l'auteur (voir la quatrième de couverture) a certainement agi sur l'écriture de cette pièce où on assiste à l'instar de la pièce Le lion et la perle de Wole Soyinka à de longues didascalies. Le nombre impressionnant de personnages comme dans Les bouts de bois de Dieu de Sembene Ousmane fait constater aussi cette influence sur le dramaturge. Les couleurs locales apparaissent également dans la pièce avec la description détaillée des temples du Vodoun Aido Houedo et des deux féticheurs, Dadavodoun et Zékpété, et qui font la particularité de ce style. Enfin, plusieurs proverbes sillonnent la pièce qui la rendent très riche en images :
« Le chien ne s'oppose jamais à l'appel de son maître » P13
« certains ne seront pas en train de s'échiner à labourer sous le soleil pour que d'autres en jouissent à l'ombre d'un arbre » P16
« Si vous voyez un caméléon presser les pas, sachez qu'un danger est imminent » p36
« Entre celui qui est sur une braise et celui qui marche dans une rivière, la sensation ne peut être la même. P 40
« l'ombre d'un grand arbre n'est point la propriété privée de son planteur »
Il y a également des paroles imprécatoires lancées à l'encontre de Dossou :
« 
DADAVODOUN : (Il saisit un poulet, le tend vers les quatre points cardinaux, il le montre au ciel en prononçant des paroles incompréhensibles. Le silence s’installe autour de lui. Il s’adresse au ciel). Oui Dossou ! Tu t’appelles Dossou ! Ton nom est Dossou ! Tu sais bien que la chair du vautour n’est pas comestible et tu veux la manger quand même ? Tu sais que la tête d’un chat mort ne saurait servir de jouet à une souris ? Connais-tu le nom du ciel et de la terre en sanscrit ( nougni) ? Quel courage et quelle audace te poussent dans cette aventure sans lendemain? Il m’a été rapporté par le collectif des ministres d’Ajooka que tu es mandaté par le Président pour les limoger et les mettre en prison. Ton commanditaire le président et toi répondrez devant les mânes de mes ancêtres de votre méchanceté. C’est grâce à ces ministres que nous autres nous avons notre pitance quotidienne. Dossou as-tu pensé à tout ce monde que nourrit un ministre d’Ajooka ? Sais-tu qu'en les limogeant, tu nous prives de nourriture ? Sans ces ministres amis, que deviendrons-nous ? Dossou, as-tu pensé à tous ces détails ? As-tu jamais entendu une poule chanter, Dossou ? A première vue tu me fais pitié, mais en fin de compte tu me montes les nerfs. Jamais nous ne te laisserons réaliser ta sale besogne ! Dossou héélou ! Dossou héélou ! Dossou héélou ! (S’adressant aux autres sorciers)
Chers amis nous répéterons ce rituel tous les vendredis jusqu’à l’assaut final.
(Ils se sont mis à se servir du vin et à manger. Le rideau tombe) »

L'onomastique
Ce style fortement ancré dans la culture béninoise s'explique notamment par l'option faite par l'auteur de véhiculer à travers cette pièce une connaissance assez nette de son origine. L'onomastique est ici un signal très fort de ce choix. En effet pratiquement tous les personnages ont un rôle, une psychologie qui correspondent nettement à leur nom.
Le personnage principal Dossou a pour petit nom Dagbégnon. Cela témoigne une fois encore du réalisme de l'auteur. Pour lui, Dossou est certainement un martyr. Un héros incarnant tous les rêves brisés de l'Afrique. Il est mort certes, mais c'est une mort utile pour une prise de conscience. Dagbegnon est composé de « dagbe » le bien et « gnon » bon. C'est une magnificence du bien pour inciter toujours à bien agir sans se soucier des médisances. Le bien doit pouvoir triompher du mal car, dans le cas contraire, aucun espoir ne serait permis pour un développement.
Amangbe, frère de Dossou a certainement ce nom pour son esprit de nuisance. « aman »la feuille , « gbe » la parole désigne en effet, l'imprécation, la parole pour nuire. Il n'est apparu dans la pièce que pour faire du mal. C'est un personnage brut que le manque d'éducation scolaire a aveuglé. Il se contente d'une vérité qui est la sienne et rien d'autre. C'est normal qu'il trouve que son frère « holonon » alors qu'il est le plus logique parmi eux tous, a été bien nommé. Nonvignon, demi-frère de Dossou est frère germain d'Amangbe, « Nonvi » frère « gnon » est bon, désigne toute la joie d'appartenir à une fratrie où tous se soutiennent. Il est très fidèle à Amangbe.
Adaka Félix porte bien son nom. « Adaka » désigne en effet le mal, tout simplement. Que ce personnage soit l'instigateur du complot contre Dossou ne doit donc pas étonner. Edassomon se retrouve aussi pleinement dans son rôle lorsqu'il l'accompagne dans ses idées sordides, puisque, littéralement il est si mauvais.
Dadavodoun et zékpété portent également des noms de sorciers qui indiquent clairement la mission à eux confiée. Des noms de sorciers qu'ici, nous ne saurions décrypter. Les deux journalistes Hoovivi et Awovi ne sont pas du reste dans cette onomastique calquée sur la culture de l'auteur. En réalité, ils incarnent l'impression que l'on a de l'homme exerçant ce métier. Hoo la parole, « vivi », mielleuse, le volubile désigne bien cet être qui ne tait sur aucun sujet car étant comme l'écrivain, un éveilleur de conscience. C'est à juste titre qu'ils ne soient pas aimés de l'homme politique qui n'agit pas toujours de façon catholique. Awovi Jean, le danger lui-même vient confirmer cette crainte que l'on a du journaliste. Sodja est une déformation du mot français « Soldat » en langue « gbe » du sud Bénin. Sodja Louis, le seul ancien combattant porte donc un nom à propos.
Sophie a pour patronyme Lapierre. C'est peut-être elle qui constitue la pierre, la grosse contre laquelle s'est cognée la tête de Dossou, enfermé dans deux feux par des mafieux.
Le nom qui au-delà de tout, indique clairement l'intention de l'auteur est bien celui du pays d'origine de Dossou, Adjooka, « Adjo » le vol, « ka » calebasse, désigne en effet ce lieu où le vol est la règle, et l'intégrité, l'exception. Que tous ces maux soient monnaie courante et que des ministres soient capables de tuer un être qui vient à la rescousse du pays, on comprend donc que l'auteur ait choisi cette dénomination afin d'indiquer clairement au lecteur à quoi il doit s'attendre.

Au total, l'incursion d'Elomon dans le monde littéraire est totalement réussie, pour la thématique abordée et le réalisme de la trame narrative. Une trame narrative qui mérite peut-être d'être encore d'être mieux arrangée pour un théâtre plus moderne, exportable jouable dans n'importe quelle salle.

Anicet Fyoton MEGNIGBETO
Professeur de Lettres

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