mardi 31 mars 2015

Cartulaire Bussonnier, un regard de Inès MISSAINHOUN

Dramaturge, nouvelliste, l’inspecteur Apollinaire  Agbazahou  est auteur de plusieurs œuvres: La bataille du trôneLe gong a bégayé (Théâtres) puis Kalétas la mascarade (Nouvelle). Il revient en avril 2014 avec une nouvelle plume Cartulaire buissonnier, un recueil de poèmes où il révèle un riche art poétique.
Paru en avril 2014, Cartulaire buissonnier est un recueil de poèmes publié aux Editions Plumes Soleil par Apollinaire Agbazahou. Subdivisé en trois parties Cartulaire buissonnier emprunte une architecture senghorienne (in Chants d’Ombre):un triple visage tel la Sainte Trinité.
Le premier visage «Briques d’Hercios» comporte douze poèmes, le deuxième visage «Lucifer démasqué» est un poème ruban, le troisième visage «Vénus en proie», comme le premier, présente ses douze « proies».
Le Prix Léopold Sédar Senghor 2008, Fernando d’Almeida, a parlé de Théosophie. Le poète dans « Briques d’Hercios» s’identifie au Dieu de l’architecture, de la charpenterie, de la construction… Et tel Hercios, il expose douze étages d’une immense construction ainsi que Jésus-Christ présentant ses douze apôtres pour l’accomplissement de l’œuvre chrétienne « Je suis chrétien catholique pratiquant. (…) Je n’ai jamais envisagé ma vie sans croyance en Dieu» Apollinaire Agbazahou in Entretiens avec des écrivains béninois au programme de Daté Atavito Barnabé-Akayi (chacun des douze poèmes compte de dédicataire).
Du travail au mérite
En effet, on y retrouve ‘’Brique1’’ dédicacée à Nicéphore Dieudonné Soglo, ancien Président du Bénin (1991-1996) et actuel maire de la ville de Cotonou. Dans ce poème, Apollinaire Agbazahou rend hommage à cet homme  politique sur lequel il fonde ses espoirs « La race des gestes/impose la magnanimité/l’allure altière/révèle les goujats» P22. Pour Apollinaire Agbazahou, Soglo est un homme d’Etat, un homme politique respectable qui avait de grandes ambitions pour son pays. Ses œuvres pour ce pays ne sont pas des moindres : il a essayé de relever le Bénin de la misère ambiante qui le croupissait dans une léthargie, «L’ère Soglo fut la période la plus heureuse pour beaucoup de nos concitoyens. Les libertés fondamentales furent totalement reconquises» Apollinaire Agbazahou in Entretiens avec des écrivains béninois au programme. Mais très tôt des hommes qui se sentaient opprimés par sa gouvernance, retournent le peuple contre lui. «C’est un grand bâtisseur que les acteurs politiques n’ont pas laissé aller au bout de ses nobles ambitions pour la nation». On assiste à deux projets : à la louange, à l’éloge de l’homme politique puis on voit le poète cracher sur les détracteurs, ‘’les vautours’’ de Soglo dont les actions ont mis « à nu la porcherie/fulminant dans la gadoue/ dans une langue de fiel/ briseurs de destin »P22. Ainsi, ce poème est donc une sorte de défense du quinquennat de Nicéphore Dieudonné Soglo « La race des gestes/ révèle le  prince/ ses doigts d’orfèvre/ ont tracé/ les tracés du soleil » P21. La datation le suggère aisément (avril 1996) : au lendemain de la passation de pouvoir de Soglo à Mathieu Kérekou.
‘’Brique2’’ dédiée au jeune poète révolutionnaire Daté Atavito Barnabé-Akayi en qui Agbazahou expose toute son admiration, son estime. Barnabé-Akayi fait désormais partie de la veine des grands écrivains dont la plume et l’œuvre s’imposent dans la littérature béninoise, puis africaine. ‘’Brique2’’ est comme une hymne dans laquelle Agbazahou salue et célèbre l’œuvre de Daté Atavito Barnabé-Akayi « comme une pluie fine et  plus mouillante/ humblement comme la nuit qui s’éteint devant le jour/ modestement comme la fourmi mise sur la trompe du ciel/ les rayons de la gloire ont irradié la frêle lueur vacillante/ badine» P23. Il expose ici, les valeurs qu’incarne l’homme: dynamisme, respect, savoir, audace…«le cocorico s’impose/la coqueluche des muses/fascine séduit/suscite admiration arrachant respect et vénération/un costume de l’anonymat/révèle la grandeur de l’âme»P24.En effet, la littérature béninoise, en dehors de ses publications personnelles dans divers genres, lui doit beaucoup d’œuvres collectives Obama et nous, Même l’amour saigne puis Anxiolytique « source d’inspiration des œuvres hautes/rayon de mille éclats/simplement humblement, modestement» P24. L’œuvre créatrice de Barnabé-Akayi n’a accidentellement débuté qu’en 2010 ! N’est-ce pas là un grand de la fascination?
Briques 3 et 4 n’ont pas échappé aux dédicaces. La ‘’Brique3’’, Mahougnon Kakpo, spécialiste de la littérature orale sacrée, en est le bénéficiaire. Déjà par la récurrence du champ lexical de la tradition (‘’trésors antiques’’, ‘’limons passés’’, ‘’mânes des ancêtres’’, ‘’aïeux’’, ‘’adeptes’’, ‘’gris-gris’’, ‘’voduns’’, ‘’fa’’, ‘’fadus’’, ‘’Sisyphe’’, ‘’lointain antique’’); le jeune poète le présente comme garant de la tradition africaine riche de valeurs. Ici, Mahougnon Kakpo est tel un transmetteur de «flambeau», qui renouvelle et redonne vie à la tradition africaine : «le tapis l’univers a faim et soif/gris-gris, voduns, fa et fadus/sont logistique nécessaire à sa beauté (…) le flambeau éclaire le sentier/le berger conduit le troupeau/pâturages de l’identité distinguée». Ces nombreuses recherches sur la poétique de la littérature orale sacrée en Afrique en témoignent (« Le fa comme vecteur de savoirs littéraires » ; « Trupen-medji dit lelo: sémiologie de la sorcellerie à travers le fa» ; Introduction à une poétique du fa; Les épouses du fa: récits de la parole sacrée du Bénin).
Guy Ossito Midiohouan, Professeur de littératures africaines francophones au Département de Lettres Modernes, est élevé au rang de «légende» dans ‘’Brique4’’. Ainsi, la fréquence anaphorique (7 fois) «La légende se légende/le mystère se conserve» dans ce poème montre la grandeur, l’immensité et la force de Guy Ossito Midiohouan. Enfin, ‘’Brique 4’’ fonctionne  comme une ballade, mais ‘’une ballade africaine’’. Et davantage les nombreuses hyperboles (‘’a gagné le temple avec lot d’extravagances’’, ‘’broie tout sur son passage’’, ‘’déteint sur tout’’, ‘’titan détenteur’’, ‘’cœur aux archipels des générosités’’), les fréquentes comparaisons avec Prométhée, dieu de la mythologie grecque et les vocables «Dieu» et «REVELATION» consacrent ce texte en épopée.
 Une poésie, empreinte de la société
Dans ‘’Brique8’’ Agbazahou expose les réalités relatives à sa fonction: le châtiment corporel en milieu scolaire. En effet, l’inspecteur poète s’insurge contre la proscription de cette mesure punitive et prône le bâton comme stimulant au travail «le bâton, la carotte, le conseil/trilogie faiseuse de soleil/tue les germes de l’arrogance/la stratégie d’ensevelissement de l’insolence/du redressement exige vigilance/(…) père fouettard n’est pas perfidie/progéniture ringarde/mérite le régal des punitions chaudes (…) ingrat, l’enfant qui à la fin/ne célèbre pas le bâton» pp 37-38. On y découvre alors un homme nostalgique de la tradition, qui n’est point sorti de la thématique habituelle dans ses pièces de théâtre. Le «bâton» dans ce poème est une mesure ancestrale.
«Lucifer démasqué» est un long texte que le poète élabore en versets. Il y pose des problèmes de la jeunesse et accorde une attention particulière à la couche des vulnérables, des marginalisés un peu comme le fait si bien le prix Ahmadou kourouma 2010 Florent Couao-Zotti dans son œuvre (Notre pain de chaque nuitPoulet bicyclette et cie …) A travers un champ lexical religieux (oraisons, lucifers, Dieu, saint, immaculé obscurité, croyances, bougie, christ, Golgotha, cendres…), le poète sensibilise, moralise et défend la jeunesse, les enfants marginalisés dénudés de toute attention, des enfants qui séjournent dans la misère, la souffrance, livrés à eux mêmes «poussin sans mère–poule, livré aux avatars de /l’existence souffrant du chaud/et du froid d’une âme égale/héros bravant intempéries et vicissitudes» p63. Or Habib disait déjà « Give them your hand» dans son album Dis-moi quand. Apollinaire Agbazahou réitère cette demande dans « Lucifer démasqué».
Agbazahou et l’amour
«Venus en proie » offre des poèmes qui parlent  essentiellement d’amour, or qui dit amour dit nécessairement femme. Comme tout véritable poète d’ailleurs, Apollinaire  Agbazahou ne dérobe pas à la tradition. Atteint par la flèche de cupidon il se remémore ses amours avec ses venus. De « Proie1» à «Proie12» la thématique est la même: amour; amours perdues «je suis le cœur percé/de tendres succès perdus/soleil de mon être confus» p84; les souvenirs d’un amour« nous étions flamboyants de jouvence/nous avons joué à cache-cache/au crépuscule des temps »p85; cœur meurtri « et ces mots durs/à la dureté de/l’aridité du désert/que tu décroches/pour dire le ras-le bol/me flagellent l’âme/comme un fouet »; la joie d’aimer, la beauté de la bien-aimée y sont présentes.
Une écriture modernisée
« Il venait de livrer  le secret du soleil et voulut écrire le poème de sa vie », Tchicaya U Tam’si, Feu de brousse in Lire cinq poètes béninois, Daté Atavito  Barnabé-Akayi.
Dans Cartulaire buissonnier, nous assistons à la rareté des signes de ponctuation; chose déjà observée chez les surréalistes. La forme des poèmes de Cartulaire buissonnier est particulièrement différente. On peut remarquer que certains poèmes ne respectent pas les normes de la grammaire française et de la versification. Le poète moderne qu’est Apollinaire Agbazahou a balayé du revers de la main ces règles qui enferment les poètes dans les «fers». Désormais la poésie se veut libérée et libératrice. Cette poésie trouve ses racines dans la sensibilité, les émotions  d’Agbazahou. « La poésie d’Apollinaire Agbazahou est enduite d’une huile produite par des huîtres de vers qu’on ne peut déguster sans enlever la coquille rugueuse qui laisse présumer des constructions hermétiques »p13 Daté Atavito Barnabé-Akayi in Préface Cartulaire buissonnier. Il ressort de ces textes une poésie allégorique dont la particularité du langage réside dans la forme ses poèmes: ‘’Proie1’’ déjà connue dans la troisième vitrine «Soleil de mes ténèbres» in Anxiolytique, Barnabé-Akayi (qui renvoie aux Calligrammes de Guillaume Apollinaire).  A travers ces poèmes Agbazahou nous plonge au cœur du lyrisme où polyphonie et euphorie sont au paroxysme. « Lire Apollinaire Agbazahou, lire Cartulaire buissonnier, c’est recourir à des mots que « rhizome » le sacré au plus près d’un consentement du monde, d’un approfondissement de soi» Fernando d’Almeida  in Postface à Cartulaire buissonnier.
Inès MISSAINHOUN

jeudi 26 mars 2015

Les mamelles du Soleil de Jean-Claude Kuika



Les mamelles du Soleil: anthropomorphisme jouant sur l'isotopie et 
l'isosémie de l'Afrique, se révèle être une véritable allégorie
 dénonciatrice des maux qui minent ce Continent si laiteux qu'il se laisse 
traire par tout venant.
    

                                                 Anicet Fyoton MEGNIGBETO

Bientôt l'analyse critique complète intitulée;

Les mammelles du Soleil de 

Jean-Claude Kuika ou la reptation 

malheureuse de l'Afrique.

mercredi 18 mars 2015

Omon-mi (mon enfant) d’Ousmane Aledji: l'humanisme peut-il être l'apanage d'une culture?





Le nom Ousmane Aledji sonne au Bénin, particulièrement théâtre. Le doute est levé tout de suite, car, acteurs de la chose littéraire, dramaturges, spectateurs, téléspectateurs et auditeurs reçoivent ce nom comme un nom de la même famille que le théâtre. Son ascension récente à la tête de la structure faîtière du théâtre béninois  (FITHEB) en est une grande illustration. Mais depuis 2002 où il a servi Cadavre mon bel amant aux éditions NDZE, le silence au niveau de ses publications est resté plus qu’assourdissant. Un silence mal ruminé par ses lecteurs qui peuvent désormais se réjouir de Omon-mi (Mon enfant), co-édité par les éditions Plumes Soleil et Artistik Editions. De quoi est-il question ?


Omon-mi (Mon enfant) restera une pièce de théâtre unique. Les théâtrologues classeront difficilement la pièce dans une catégorie précise. Toujours est-il que cette pièce de 100 pages sort des sentiers battus et bat en brèche plusieurs règles du théâtre, à commencer par celle des trois unités, action, temps et lieu.

L’ACTION
La pièce raconte une histoire prise en elle-même pour banale notamment dans certaines contrées africaines. Un enfant qui naît enroulé dans du placenta. Sacrilège. Sacrilège pour une tradition puriste respectueuse des lois de la nature qui n’accepte aucun enfant qui ne sort des entrailles de sa mère indemne, la tête en premier. Sacrilège pour une tradition fidèle à ses principes, rejetant toutes modifications, toute autre manière de venir au monde considérée tout de suite comme une anomalie. Sacrilège donc qui mérite une punition adéquate. Le refus d’existence. La mise à mort. Arraché donc à sa mère pour ce crime d’anomalie de  sortie, l’enfant sera condamné à être enterré vivant par des adultes commis à la tâche. Malgré la crise de conscience de l’un d’entre eux, les protestations de la mère rebelle pour avoir déjà mal ingurgité le malheureux et mortel sort qu’on a fait subir à son autre enfant Albinos, le Dah, chef de la communauté et ses conseillers n’ont pris autre décision que celle indiquée par la coutume, même au détriment de l’une des pratiques de cette dernière qui aurait permis de consulter l’avis des ancêtres. Une folie maternelle logique coiffe tout.

LE TEMPS
Même si l’on pourrait difficilement rejeter les vingt-quatre heures d’action, le temps dans cette pièce n’est pas linéaire. Il suit un rythme anachronique. La scène s’ouvre sur un environnement nocturne, remonte aux actions de la journée, la naissance, le baptême, le conseil des sages, l’enlèvement, l’horrible inhumation,   pour revenir à la même nuit et indiquer le cynisme de ces thaumaturges qui se saoulent après avoir commis l’innommable. En dents de scie donc, le temps de cette pièce reste bien collé à son temps historique, celle d’un monde qui malgré son ouverture sur la modernité reste bien attachée à des pratiques qui s’endurcissent, et persistent. Mais la concentration du temps aussi en vingt-quatre heure, cette accumulation en un temps si réduit pourrait traduire cet enfer, cet engrenage que la tradition fait subir aux parents qui ont le malheur de voir leurs enfants naître avec des normes autres que celles dictées par la société ;  comme si les parents pouvaient décider de la manière dont leurs enfants allait naître. Ce temps d’enfer est comparable à La parenthèse de sang évoqué par le célèbre dramaturge Sony labou Tansy.

LE LIEU
Les lieux de la pièce sont loin de respecter la règle de l’unité. Le dramaturge lui-même précise les divers lieux.  De la forêt où l’enfant a été enterré à la boite Nelson bar, l’espace dans cette pièce est bien ouvert et multiple. A la naissance, l’enfant a reçu un baptême conséquent chez ses parents qui ont reçu des visites. Il a été ensuite volé donc a pu quitter chez ses parents pour être transporté par ses ravisseurs dans la forêt. Il a ensuite quitté l’espace terrestre pour celui souterrain, puisqu’il a subi une inhumation indescriptible. Mais avant tout ceci, il a fallu que le Conseil siège pour décider de son sort. Ainsi, si le temps peut être comparé à un engrenage, il n’en est pas de même pour le lieu, ouvert  pour des mouvements multiples. Mais toujours est-il que ces mouvements, loin d’être à l’avantage du personnage principal qu’est la mère et de son enfant, sont à leurs dépens. 
L’action, le temps et le lieu forment donc un cercle tragique comme celui des tropiques d’Alioun Fantouré pour mieux assommer, pas politiquement mais socialement l’individu.
Mais on prendrait mal la pièce si, avec le temps, l’action et le lieu on déduit sans autres formes de procès qu’Ousmane Alédji reste dans la même logique que Florent Couao-Zotti par exemple dans la nouvelle parue dans le recueil Poulet bicyclette et cie et intitulée « L’enfant sorcier », où le nouvelliste sauve l’enfant des griffes de ses bourreaux, traitant la pratique de barbares.  Ce serait mal lire la pièce d’Alédji. En réalité, le dramaturge sort de ce sentier battu et propose à ces lecteurs une autre approche de ces critiques occidentales toutes formulées dans le seul but d’indexer la seule Afrique comme couvant des pratiques barbares. L’horreur indexé  est-il uniquement imputable à une seule région du monde ?

OMON-MI, UNE PIÈCE A THÈSE
La rébellion de la mère et sa folie sont loin d’orienter le lecteur vers une position dénonciatrice des pratiques ritualistes. En réalité, le lecteur est progressivement orienté  sur une analyse de la situation autre qu’une condamnation béate. On sait que l’une des raisons évoquées par le colon pour envahir le continent africain dans le but unique de s’emparer de ses richesses est l’évocation de ces pratiques qui le confondent aux grands singes de la forêt équatoriale. Claude Lévis Strauss, Gobineau… dans leurs rapports de voyage peignaient le Noir en noir. Il fallait insister sur la barbarie pour montrer la nécessité de nous apporter la Lumière, prétexte à une colonisation sauvage. Est donc barbare, toute pratique culturelle venant de ces gens noirs, si noir que l’on pourrait se demander si Dieu si bon peut mettre une âme dans un corps si noir (Montesquieu).   Les premiers écrivains africains tel que Paul Hazoumè à travers Le pacte de sang ont donc servi de relai à théories colonialistes qui confortent la domination coloniale. Même jusqu’à ce jour, il est clair dans l’entendement humain, que quand on évoque la barbarie, l’on pense d’abord au continent africain. En témoigne plusieurs ouvrages et films condamnant l’Afrique.
Mais Alédji ici, prend tout le monde à court. Loin de se contenter de condamner le fait, il ouvre sa pièce sur une série de questionnements. Le lecteur est promené un peu partout dans presque toutes les grandes capitales du monde où des pratiques identiques ou pires sont monnaie courante.
«  Dans les hôpitaux d’Acapulco, de New York, d’Abidjan, de Londres ou de Paris les mieux équipés du monde, on se débarrasse des enfants sorciers, par centaines.
Dans certaines régions de la Chine, les fœtus féminins sont traités comme des ennemis de la République. Ailleurs, des laboratoires souterrains se battent autour des cellules souches pour cloner 42 fœtus en une heure. » p. 91-92.
Sous d’autres noms plus civilisés donc, les mêmes pratiques se déroulent, officiellement avec une législation appropriée. Mais pourquoi accepter et financer les avortements, pourquoi autoriser l’euthanasie, pourquoi cloner des fœtus et s’en prendre dans le même temps aux africains qui sélectionnent leurs nouveaux nés ?Même si Aledji n’approuve aucune des pratiques, il s’interroge quand même sur le droit qu’ont les uns de s’en prendre aux autres  alors que dans le même temps ilsont les mêmes cultures meurtrières ?
On comprend ainsi aisément cette série de questions posée par l’auteur :
« Faut-il au nom d’un humanisme bienveillant, de la correction, de la morale et de l’éthique, laisser naître et grandir un enfant que l’on sait différent, déficient handicapé ?
Nous sommes-nous entendus sur des exécutions excusables d’enfants ?
L’humain a-t-il le droit de s’arroger le pouvoir de vie de mort sur son semblable ?
Y a-t-il une culture plus humaine, plus humaniste, plus civilisatrice qu’une autre ? » p. 91
Cette série de questions déterminent la neutralité que voudrait afficher Aledji, une neutralité en réalité convertible en thèse respectueuse des pratiques de chaque culture.

UNE ÉCRITURE INNOVANTE
Cette sortie des sentiers battus ne se limite pas uniquement à la thématique. L’écriture restera aussi innovante avec un découpage en 14 scènes sans actes. Le lecteur découvre aussi des répliques ordinaires similaires à celles que l’on pourrait découvrir dans un récit romanesque. Une attribution de parole dans un dialogue théâtrale extraordinaire où le ne voit pas écrire le nom des personnages mais où l’on découvre juste des tirets de dialogue. L’on note aussi la présence de personnages comme Le narrateur qui raconte effectivement les faits et la présence de scènes avec pour seul contenu une didascalie.L’on pourrait cependant déplorer la présence abondante de didascalies surtout au  niveau des débuts de scènes. Un constat qui s’éloigne du nouveau théâtre qui se veut respectueux du metteur en scène, libre dans ses retouches et orientations de la pièce.
Au total, Aledji renoue avec les publications, avec une grande innovation et enchante la dramaturgie béninoise avec une orientation pertinente d’un sujet sociologiquement capital : omon (enfant).

Anicet Fyoton MEGNIGBETO