lundi 12 novembre 2012


LE PIMENT DES PLUS BEAUX JOURS DE JEROME NOUHOUAI : UN MONDE DICHOTOMIQUE OU NAGENT AMOUR ET HAINE

                                                                                
La littérature béninoise découvre à l’orée de cette deuxième décennie du millénaire, un jeune écrivain généreux dans l’écriture, prolixe dans l’imagination. Un talent exceptionnel puisque le réalisme de Flaubert et le don descriptif d’Honoré de Balzac se mélangent et créent une osmose parfaite. Le public littéraire littéraire peut se réjouir d’accueillir Jérôme Nouhouai puisque c’est de lui qu’il s’agit, car Florent Couao-Zotti a d’ores et déjà un dauphin dans l’art de réussir les polars dans un cadre spatio temporel typiquement béninois. Le monde universitaire aussi. Avec deux romans publiés la même année (2010) en effet, Jérôme Nouhouai a battu bien des records. La Mort du lendemain et Le piment des plus beaux jours sont ces chefs d’œuvre dont tout critique littéraire se réjouit.
Cette étude s’est choisie pour objectif de parler de la première publication Le piment des plus beaux jours, offerte par le Serpent à Plumes.

1-   RESUME DE L’ŒUVRE
Il est très difficile voire compliqué de faire le résumé linéaire de ce roman, tant l’histoire de chaque personnage est unique. Le seul point commun entre eux, c’est que, d’une manière ou d’une autre, chacun a un lien avec Nelson Kangni, le narrateur du roman.
Installé dans Abomey- Calavi, un cadre rustique, une ville périphérique de Cotonou, capitale économique du Bénin, l’histoire de ce roman est racontée par Nelson Kangni, un étudiant en 2ème année de Droit qui vit en collocation avec deux de ses amis. Jojo et Malcom alias Malko. Une vie tumultueuse à trois où tout est partagé sauf les idées de Malko, l’intello.
Les vacances de trois mois après la première session sur le campus sont le prétexte idéal offert à Nelson pour narrer une vie mouvementée où amour, haine, crime, sexe, prostitution et argent se mélangent. Nelson, lui, n’avait d’yeux que pour Josiane, une étudiante à l’ENAM, fille d’un ancien ministre de la République et député,  Maximo Assaba. La relation entre eux n’avait même pas commencé qu’elle prit fin. En effet, d’une part, Josiane était surveillée par des cerbères de son père qui voulait mieux pour sa fille et de l’autre, il y a Nelson lui-même qui, dans l’incapacité d’assouvir toute sa soif de Josiane se défoulait sur Nicole, une prostituée qui, frigide au départ pour avoir été violée, a retrouvé sa joie grâce au bon soin de Nelson. Mais mal lui en a pris car, par malheur pour lui, alors que Josiane était venue s’offrir à lui, elle le surprit avec Nicole après une partie de jambes en l’air. Elle dut se rabattre successivement sur deux Libanais dont le premier a essuyé la fougue de Nelson, jaloux et frustré.
Malko dont la sœur a été tuée par un Libanais, n’a jamais cessé de ruminer sa colère contre eux. Sa haine s’est même transformée en un militantisme engagé qui l’a conduit à rentrer dans une nébuleuse « Le calice noir ». D’agression physique de libanais ou d’indo-pakistanais, ils sont passés à des incendies de boutiques, des braquages et même à des attentats à la bombe. Les soupçons de Nelson à propos de l’implication de Malko se confirmèrent lorsqu’il le vit lui-même  en action à Maro militaire. La longue enquête policière et militaire  a fini par aboutir et Malko fut assassiné dans des conditions très peu élucidées. Car il avait réussi  à se déguiser en femme et prenait la fuite.
Jojo lui, ne jure que par  Cupidon. Il est maître dans ce que le narrateur lui-même a appelé grossièrement bien sûr, T T T , Tout Trou est Trou. Phina la voisine et domestique des da Silva, une vieille touriste italienne, Ingrid l’allemande, Sophie l’inconnue et même Nicole ont  toutes pris par là. Tout a réussi à Jojo, les femmes et surtout les études pour lesquelles il gagne à la loterie visa pour se rendre aux Etats-Unis. Même la malédiction de Phina dont il rejeta la grossesse n’aura eu aucun effet sur lui. 
Enfin , Juju, alias Justin devenu colocataire circonstanciel après le départ de Malko pour ses activités mafieuses s’est vu renvoyé de la maison pour avoir mis enceinte une jeune élève de 3ème. Fils d’un ancien ministre de la période révolutionnaire, il a pourtant eu du mal à bénéficier du soutien, non seulement de ses parents propres, mais et aussi de sa belle famille.
Nelson,  Jojo, Malcom, Justin sont ainsi les principaux personnages, tous étudiants autour desquels est conçue cette histoire palpitante à couper le souffle. Une histoire dont presque tout paraît réel parce qu’existant.



2-     UN ROMAN REALISTE.      

Apparu dans la deuxième moitié du XIXème siècle français, le courant littéraire réaliste est né pour contrer les envolées lyriques, illusionnistes sur le bord, du romantisme. Il est surtout marqué par Honoré de Balzac à travers Le père Goriot, Stendhal dans Le rouge et le noir, qui ont pris la société réelle comme cadre d’action.
 «  La maison où s'exploite la pension bourgeoise appartient à Mme Vauquer. Elle est située dans le bas de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, à l'endroit où le terrain s'abaisse vers la rue de l'Arbalète par une pente si brusque et si rude que les chevaux la montent ou la descendent rarement. [..] . Nul quartier de Paris n'est plus horrible, ni, disons-le, plus inconnu. »
Honoré de Balzac, Le père goriot, Librairie générale française, Paris,1961, pp.19-20
«  Mme de Rênal regardait les grosses larmes, qui s'étaient arrêtées sur les joues si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d'une jeune fille »
Stendhal, Le Rouge et le noir - Début du chapitre 6 -

Mais c’est notamment avec Gustave Flaubert que le terme sera le plus connu.  En effet, le souci du réalisme était si patent chez lui que pour narrer l’empoisonnement d’Emma dans Madame Bovary, il dut lire toute une documentation sur la médecine.
«  Puis elle se mit à geindre, faiblement d'abord. Un grand frisson lui secouait les épaules, et elle devenait plus pâle que le drap où s'enfonçaient ses doigts crispés. Son pouls inégal était presque insensible maintenant. Des gouttes suintaient sur sa figure bleuâtre, qui semblait comme figée dans l'exhalaison d'une vapeur métallique. Ses dents claquaient, ses yeux agrandis regardaient vaguement autour d'elle, et à toutes les questions elle ne répondait qu'en hochant la tête ; même elle sourit deux ou trois fois. Peu à pu, ses gémissements furent plus forts. Un hurlement sourd lui échappa…
Gustave Flaubert, Madame Bovary,

Ce mouvement littéraire a donc pour principe fondamental de présenter l’homme dans ses réalités quotidiennes : son cadre de vie, son vécu...
Jérôme Nouhouai n’étant pas du XIXème siècle français, son œuvre ne s’inscrira pas dans le courant littéraire réaliste, mais dans le registre littéraire inspiré de celui-ci et qu’empruntent certains  auteurs soucieux de partager avec leur public l’univers dans lequel ils vivent.
Jérôme Nouhouai n’est pas le premier Béninois à prendre le cadre de chez lui comme espace romanesque. Florent Couao-Zotti, notamment dans Les fantômes du Brésil, où la ville historique de Ouidah est revisitée de fond en comble, Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire, où allègrement, le lecteur est promené de Cotonou à Pahou en passant par Godomey… et Edgar Okiki Zinsou dans la nouvelle « la femme du mari inconnu » in La femme du mari inconnu, avec toujours Godomey, Cotonou, comme cadres d’action, l’ont précédé.
Seulement, chez Nouhouai, il y a cette petite particularité qui installe le cadre dans un univers estudiantin. De futurs cadres d’un pays qui, faute de moyens, durent se réunir à trois, non pas à Zogbadjè où ils auraient pu être proches du campus, mais à Calavi, à quelques kilomètres. Le réalisme de Nouhouai, dans ce roman commence donc par l’espace. Un espace ouvert, présenté par un narrateur homodiégétique qui conduit les personnages de calavi, la ville dortoir, précisément à Zoka d’abord vers le campus puis vers Cotonou où Akpakpa, Dantokpa, Maro-militaire, Zongo, Jonquet, Haie-vive, Saint Michel, Missèbo, Ganhi, Aidjèdo, et Zogbo seront passés en revue.
Non seulement ces quartiers sont réels, mais surtout les lieux qui y sont indiqués, même s’ils sont fictionnels s’approchent eux aussi de la réalité. ‘’Chez Max’’ à Jonquet par exemple, n’est pas loin de ‘’Chez Alex’’ dans ce même quartier. De même, la boutique ‘’Beauté légère’’ se trouve être la photocopie conforme de ‘’Beauté ronde’’ sur l’esplanade du terrain de Kouhounou. Tounde Motors a carrément même été évoqué.
L’évocation des villes telles que Porto-Novo, Ouidah, Parakou, Malanville, ou Tchoumi-Tchoumi, et surtout la célébration du 1er août 1960 comme fête d’indépendance, installent définitivement l’histoire dans un espace béninois avéré. C’est pour cela que la présence des chaînes de télévision-LC2, GOLF TV, ORTB … n’apparait plus surprenante.
L’onomastique est également d’inspiration béninoise. En effet, tous les personnages, compatriotes  du narrateur et lui-même Nelson Kangni portent des noms à résonnance du Sud Bénin. Ce nom « Kangni », d’ailleurs,  est le même que celui d’un dramaturge togolais, Alem Kangni. Malcom Kossou, Justin Kêkê, Maximo Assaba, Josiane Assaba, Adrien Midombo, alias Papa Chicotte, Isidore Mensah (Ministre des finances), André Guidibi (Ministre des transports publics-en référence à Edgar), Marcel Vidokin(journaliste), Sandra Kangni (sœur de Nelson), Justin Solloté(journaliste- qui rappelle  la fois Justin Roger Migan,  Pélagie Solloté) Gérard Médégan (commissaire général de la Police), Joseph Toffo, Norbert Assaba (peut-être en référence à ce professeur dispensant les cours au département de sociologie, Professeur de sociologie), Adjinou (jeune étudiant tabassé pour avoir osé poser les yeux sur Josiane, Karine Djossou(camarade de classe de Sandra, devenue fiancée de Juju). Antoine Datondji , (Ministre de l’intérieur), Nicolas Amoussouga (commandant de la gendarmerie), capitaine Mamadou Moumouni (capitaine retraité de l’armée dont la maison inachevée sert de repaire aux membres du calice noir), Thierry Tossou, (Sergent Chef, oncle de Jojo), Damien Codjo, (étudiant, doyen de tous les étudiants), Dah Houawé (journaliste, portant le même nom que celui de CAPP FM, officiant tous les jours ordinaires à 10heures pour une revue de Presse en fongbe).
L’action aussi.
La vie à trois,  menée par Jojo, Nelson et Malcom et après le départ de celui-ci, Juju, ne doit étonner aucun béninois qui s’intéresse aux réalités académiques du pays. Faute de moyens en effet, plusieurs étudiants se retrouvent dans l’incapacité de se payer une maison décente. Par solidarité mais aussi par nécessité, ils se retrouvent ainsi à deux, trois, quatre et même parfois plus à partager un espace réduit. Les tables servant quelques fois de lits ou de matelas. Le narrateur a même utilisé le mot « réduit » pour désigner leur cadre de vie.
Le choix de Calavi n’est pas anodin. Zogbadjè, le village universitaire est déjà saturé. Les propriétaires terriens voyant l’ampleur que prennent les demandes de location chaque année n’hésitent pas à construire de nouvelles maisons plus jolies certes, mais très chères. Pire, les anciennes maisons sans autres formes de procès connaissent des augmentations exponentielles. On n’en veut pas aux propriétaires pour autant, c’est la loi du marché. Mais beaucoup d’étudiants, démunis, se retrouvent ainsi exclus du système et vont chercher ailleurs, loin du campus, quitte à devenir des éternels abonnés au bus.
Si Nelson et ses amis se retrouvent à Calavi, cela s’expliquerait donc par cet aspect de manque de moyens surtout que c’est la maison d’un instituteur retraité qui est louée. L’instituteur béninois a une marge financière que personne n’ignore. On s’imagine donc ce qu’il a pu mettre à disposition des personnages. Jérôme Nouhouai, voudra ainsi interpeller les autorités politico-administratives à beaucoup s’intéresser aux conditions de vie estudiantine, puisque, même les critères pour se retrouver dans les cabines universitaires sont parfois discriminatoires, régionalistes et souffrent d’un mal incurable : la corruption.
A propos de cet instituteur, Papa chicotte, les interdits qu’il affiche ne sont pas non plus étrangers au commun des Béninois. L’on rencontre ici et là, des propriétaires zélés, imposant des lois irréalistes. Car, interdire à de jeunes étudiants de venir à la maison avec leurs petites amies, c’est empiéter sur leur vie privée.
Le réalisme de l’action  ne se limite pas à la vie des étudiants en dehors de leur lieu d’étude. Le campus d’Abomey-Calavi est décrit dans une vérité crue. Les emplacements de l’ENEAM, du rectorat, de la FLASH, de la FASJEP, sont rapportés dans leur moindre détail réel.
Par ailleurs, même si elle est mêlé de fiction, cette haine pour les libanais existe au Bénin. En effet, tout ce que Malko rumine contre les Libanais est vrai : la corruption, le proxénétisme, la zoophilie à laquelle les jeunes filles sont mêlées contre de maigres sous…. Le groupe mythique de théâtre Semako WOBAHO, a même traduit ce sentiment à travers une chanson, générique de l’un de  leur télé-film.
La réalité des faits, c’est enfin ce triple braquage de Dantokpa, où des banques ont été dévalisées suivi des réactions musclées mais infructueuses des forces de l’ordre.

3- UNE XENOPHOBIE AGISSANTE

 De deux mots grecs Xénos, étranger, et Phobos, peur, effroi, la xénophobie, signifie, la peur ou la haine de l’étranger. Cette haine qui fait qu’un individu prend toutes les dispositions même les plus malsaines ou meurtrières afin que l’autre qui n’est pas chez lui, ne se retrouve pas dans son rayon de vie ou d’activité. Ce sentiment ou cette réaction conduit, une région, un pays et même le monde dans des guerres interminables.
Malko, rongé par cette haine des libanais à Cotonou, n’a pu  se contenir.  Il est vrai, l’histoire de sa famille racontée peu après sa mort par son géniteur, est pathétique. Voir sa sœur mourir, se retrouver avec des séquelles de jambes brisées, subir la grande humiliation d’assister au mépris de « l’étranger » qui se permet tout chez soi… tout ceci est très difficile à supporter. Comment expliquer, et cela est avéré, qu’au moment où des peuples africains sont chassés, rapatriés manu militari d’ailleurs, non pas parce qu’ils ont commis des actes répréhensibles, mais juste pour s’être retrouvés sur un territoire qui n’est pas le leur, un simple étranger, si Blanc soit-il fasse la loi chez soi. Ces mots sortis difficilement de la bouche du père de Malcom en larmes, pleurant son fils, sont assez édifiants : « vous savez que même quand on est étranger et qu’on a de l’argent dans ce pays, on peut tout se permettre »
Dans un pays où on est en mesure d’enfermer un citoyen juste pour son véhicule dont l’assurance n’est pas à jour et non pour absence d’assurance dans un accident où seuls de légers dégâts matériels ont été constatés, on peut comprendre la rancœur de quelqu’un qui voit le chauffeur d’une voiture qui a tué sa sœur, non seulement en liberté, mais qui se permettent le luxe de narguer, de proposer arrogamment de l’argent ou même de licencier.
L’intégration de Malcom au Calice Noir, n’est pas à encourager certes, mais contrairement aux Européens et autres qui ont de la haine gratuite pour les Noirs, on peut comprendre la haine de Malcom envers les Libanais. Plusieurs articles de presse ont fait état de ce ressentiment des Béninois envers cette communauté notamment celui de Courrier international, du 08 janvier 2004 intitulé : « A Cotonou, les Libanais ne sont pas en odeur de sainteté » où le journaliste expliquait que « Le crash d'un avion libanais à Cotonou a provoqué des sentiments ambigus au Bénin. Un pays où les Libanais sont aussi influents que mal aimés. »
Pire, sur le site Koaci.com, le journaliste Sékodo, a révélé dans un article datant du 20 janvier 2012 avec pour titre « Mauvais temps pour les Libanais: Arrestation de Kodeih et expulsion de Karroubi » repris également par jalome.com, non seulement les activités très peu légales que mènent les Libanais à Cotonou mais aussi et surtout la complicité dont ils bénéficient de la part des autorités : « Selon un juriste qui requiert l'anonymat, le gouvernement a mis la charrue devant les bœufs. ''Blanchiment d'argent et trafic de drogue sont des infractions, donc des crimes internationaux.  Et tout crime est puni par les dispositions légales. Le gouvernement en agissant ainsi, a fait une fuite en avant. La logique serait de rassembler toutes les pièces justificatives de ces infractions, puis de passer à la punition. Et c'est après qu'interviendra la décision d'expulsion. Le gouvernement va-t-il revenir encore à la punition avant l'expulsion ? C'est une interrogation'' a-t-il lancé. Après le Libanais Kodeih reconnu pour les affaires du genre, qui est actuellement gardé au commissariat central de Cotonou, voilà un autre groupe libanais dirigé par Ali Mohamed Kharroubi, qui vient d'être expulsé du Bénin. »

L’autre fait pour lequel, on pourrait comprendre Malcom est son chômage.  Avoir su poursuivre ses études sans père ni mère, avec la hantise de l’image de  sa sœur dont la vie est brisée par un chauffard, réussir à obtenir le Bac, passer quatre ans sur le campus avec toutes ces difficultés de la vie estudiantines, obtenir enfin sa Maîtrise et se retrouver sans travail sérieux, cela peut donner des envies et pas toujours de bonnes. C’est aussi un grand cri d’alarme de l’auteur afin qu’un clin d’œil soit porté vers la politique d’insertion sociale des jeunes diplômés. Le grand Voltaire a raison, « le travail éloigne de nous trois maux : l’ennui, le vice et le besoin ». Certainement que Malcom ne serait pas enrôlé dans cette affaire s’il était occupé à exercer un métier digne du nom. On ne demande pas forcément à l’Etat de faire de tous les diplômés ses agents. Seulement une politique d’auto-emploi devrait être élaborée pour rendre responsable chaque jeune. Cela éviterait, non seulement les envies de vol, mais surtout la tentative de se mettre en association pour nuire aux autres si mauvais soient-ils.
Seulement et je pense que c’est l’avis de l’auteur aussi, une ligne rouge a été franchie par Malcom et on n’a pas besoin d’avoir cette position extrémiste. Le narrateur aussi a bien des raisons de s’en prendre aux Libanais, car lorsque Josiane l’a laissé, elle s’est retrouvée avec des Libanais. La haine du narrateur aurait pu aussi se transformer en cette envie d’en finir avec les Libanais et les Indo-pakistanais, de commettre des attentats en plein Cotonou, ou de rentrer dans une nébuleuse. Mais lui, a su refuser, (peut-être à cause de l’histoire de Malcom) quand la même proposition lui a été faite sur le campus.
Je l’ai déjà dans un article intitulé « De l’ivoirité à la francité, Fillon creuse le sillon » : « Toutes les guerres du monde à commencer par celle d’Hitler ont eu pour sous bassement, la xénophobie. » Ce n’est donc pas un sentiment bénéfique, au contraire, on doit pouvoir le classer dans les états affectifs négatifs.
La xénophobie en réalité ne conduit à rien de bon et quelles que soient les circonstances atténuantes que l’on pourrait trouver pour ce personnage, il est à condamner avec la dernière rigueur. L’histoire de l’humanité nous renseigne que lorsque ce sentiment atteint quelqu’un ou un peuple, c’est la catastrophe. La deuxième guerre mondiale, on nous l’enseigne, a pour cause la haine d’Hilter et par ricochet de certains Allemands envers le Juifs. Le Rwanda, avec les Hutu et les Tutsi, la Côte-d’ivoire entre le Nord et Sud, et rien ne garantit que tôt ou tard le Bénin  ne passera pas par là si on y prend garde.
Même si cela relève de la fiction le passage suivant attribué à la mère du narrateur est bien révélateur de ce que le Béninois peut ressentir envers  des peuples voisins qui viennent leur rendre visite.
« Ma mère était régionaliste et xénophobe et ne s'en cachait pas. Lorsque nous habitions encore à Maro-Militaire, nous avions pour voisins, au rez-de-chaussée, des Nigériens qui avaient la fâcheuse habitude de mâchonner du cola et de cracher partout, dans la rue comme à l'intérieur de la maison. Un jour qu'elle faillit perdre l'équilibre sur une expectoration plus visqueuse ou plus épaisse que d'habitude, il s'en était suivi une mémorable dispute mêlant fon, français, malinké, bambara et autres dialectes du Niger. « Tominnou , Kaï-Kai\ mal élevés ! Retournez garder vos moutons ! » criait ma mère. Lors de cette dispute qui ameuta toute la maisonnée et une partie du quartier, elle fut soutenue par d'autres habitants et des passants qui, prenant les Nigériens pour des compatriotes nordistes, éructaient: - Les gens du Nord, ils sont comme ça ! » Par Nord, on entendait la partie septentrionale du pays que les gens du Sud ne semblaient pas apprécier et réciproquement. Ensuite, lors de sporadiques pics de banditisme dans le pays où on apprenait que tel brigand de nationalité d'un pays voisin était appréhendé, elle ne manquait jamais de maugréer: « Ces Ibos djimakplom, toujours eux! Pourquoi ne restent-ils pas dans leur pays à s'entretuer ? »

 Des précautions énormes doivent donc être prises afin que l’on ne puisse jamais laisser développer ce sentiment dans un peuple.
« Prends garde aux ressentiments. C’est la voie de la perte et de l’errance », a conseillé le narrateur et c’est plus sage.
C’est pourtant dans ce monde de haine, d’insultes et de méchanceté que le narrateur a pu vivre deux histoires d’amour.

4- UN FANTASME INASSOUVI

A l’instar du roman Les  fantômes de Brésil de Florent Couao-Zotti ou de Doguicimi de Paul Hazoumè, Le piment des plus beaux jours de Jérôme Nouhouai est un récit avec comme fond, une trame amoureuse tumultueuse entraînant les lecteurs à vivre des passions les plus folles, des émotions les plus sordides.
Mais contrairement à Doguicimi et le Prince Toffa dans Doguicimi, Anna Maria et Pierre dans les Fantômes du Brésil où l’histoire pathétique et tragique finit comme un drame Shakespearien, Nelson Kangni, et josiane Assaba, n’ont même pas commencé l’histoire avant qu’elle ne finisse.
Fol amoureux de la jeune Josiane dont les parents sont riches, le premier problème auquel s’est heurté Nelson est sa condition de vie. Un ancien ministre et député ne peut concevoir que sa fille, élevée à des centaines de millions de francs, joigne sa vie à celle d’un pauvre étudiant, incapable de se payer un appartement décent. Ainsi, même en ne le  connaissant pas, celui-ci a pris la décision de préserver sa fille de tous ces garçons, à vils prix qui croient qu’il suffira de dire « je t’aime » à une fille pour l’avoir dans leur lit. La réputation de Josiane en la matière est très connue, et plusieurs aventuriers avaient déjà essuyé des malheurs de la part des gardes de corps spécialement commis pour prévenir la jeune et sulfureuse Josiane de ces garnements. En l’absence permanente du père sur le campus,  c’est même l’oncle Norbert Assaba, professeur du département de sociologie, qui, en l’œil de Caïn, surveille tous les faits et gestes de la jeune fille hors de son amphithéâtre.
Nelson, quant à lui, après avoir été suspecté longuement, après qu’on a déchaîné des chiens à sa poursuite devant la grande villa de Maximo Assaba,  a dû agir héroïquement dans un combat à la Trabi (héros du roman Les tresseurs de cordes de Jean Pliya). Cela lui a accordé plus de point chez la fille qui commençait à déjà l’aimer. Et lorsqu’il reçut ce premier baiser de Josiane, langoureux, fougueux comme celui de Julie à Saint-Preux au bosquet dans la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, la passion de Nelson pour Josiane s’est décuplée. Point d’heure sans penser à elle. Tous les manèges ont été possibles à Josiane afin de contourner le mur épais qu’ont érigé ses parents entre elle et le monde extérieur- rencontre en catimini sur le campus- usage de téléphone portable de ses amis- etc…
Elle était prête à tout pour vivre cet amour avec Nelson. Seulement, cet amour n’a pas su surmonter le mal éternel dans les relations dans un couple : la  jalousie.
Dans l’incapacité d’avoir Josiane à portée de main comme il l’aurait voulu, en  effet, Nelson assouvissait tranquillement sa soif dans les yeux de Nicole. L’effort fourni par Josiane pour non seulement échapper à ses parents mais retrouver la maison de Nelson afin de s’offrir à lui, s’est avéré infructueux. Elle finit par donner raison à ses parents que tout pauvre étudiant restera pauvre non seulement financièrement mais aussi dans son intelligence. Les Libanais, riches et puissants seront appelés à la rescousse.
Cette option de Josiane a fini par parfaire la haine que Nelson ruminait déjà sa colère contre les Libanais. De la bonne passion au début, cette belle relation qui retient l’attention du lecteur, s’est transformée en une véritable haine des deux côtés. Josiane, définitivement tournée vers un univers plus grand et Nelson avec plus encore de hargne envers cette race de gens, qui non contents de venir terrasser le peuple sur le plan économique, privent la jeunesse, des meilleurs fruits de ses passions.
Seule la bonne correction donnée au premier libanais à la sortie d’une boîte de nuit, restera sa seule satisfaction. Le narrateur et c’est à ce niveau que son point de vue interne a constitué un handicap au lecteur, n’a jamais dit un mot de ce que Josiane a ressenti après l’avoir surpris chez Nicole. Elle est certes sortie avec deux Libanais, mais les conditions dans lesquelles cela s’est passé n’ont pas été dévoilées ; cela aurait peut-être permis au lecteur de connaître ses motivations ; si c’est par vengeance, par contrainte ou par véritable amour pour eux.
Cela aurait permis de savoir si vraiment elle a aimé Nelson ou c’est une stratégie développée pour échapper au contrôle parental. Car, on ne peut pas comprendre que juste parce qu’elle a vu son amant chez une autre fille, elle puisse lui tourner dos sans même chercher à entendre son son de cloche. Quel est cet amour qui change brusquement du jour au lendemain ? L’amour est un état affectif qui peut être positif ou négatif c’est vrai, mais quelles que soient les raisons, il ne peut disparaître si brusquement du jour au lendemain, à moins que celui qui le ressent y mêle la Raison. Il n’est pas question de condamner ici Josiane, l’amour est insaisissable, on le sait, mais,  le fait est que, loin d’agir comme un personnage du rang où le narrateur l’a placée, elle a agi comme la plupart des jeunes filles, impulsive, sans retenue, matérialiste.
Nelson lui, non plus, n’est pas exempt de tout reproche. C’est parce que c’est lui qui raconte l’histoire qu’on pourrait tenter de lui trouver des circonstances atténuantes. L’histoire aurait été de Josiane qu’elle serait tout autre. Rien ne saurait justifier cette vie vagabonde. Substituer une fille à une autre, c’est un manque de respect. Mais il a souffert, et même si nous ne sommes pas dans La Nouvelle Héloïse, nous avons eu l’expression abondante d’états affectifs négatifs. De la colère à la mélancolie, en passant par le regret, la tristesse, la peur, la haine… Nelson aura tout connu.
Le simple pardon de Josiane aurait orienté la fin de l’histoire vers l’expression d’états affectifs positifs. Mais, une fois encore, cette vie amoureuse tumultueuse, loin des télénovelas, dont on nous asphyxie la vie en Afrique,  confirme à l’instar d’Ahouna et Anatou, que l’amour est un drame racinien : les protagonistes sont, la plupart du temps, éloignés pour diverses raisons de ceux qu'ils aiment.
Andromaque, Phèdre, Britannicus, Bérénice sont autant de pièces de Jean Racine où l’aspect douloureux de cet état affectif est mis en exergue. Quand on aime chez Racine, on se sépare absolument de l’être l’aimé. Bérénice dans Bérénice se désole ainsi, « Adieu (…) Combien ce mot est cruel et affreux quand on aime » et prononce ce vers qui caractérise si bien la passion dans la tragédie racinienne : « d’un amour qui devait unir tous nos moments ». (Acte IV, scène 5 vers 1107)
C’est dire que si  Nelson n’a pas pu assouvir ses fantasmes, cela va dans l’ordre normal des choses. Quand on tombe amoureux, il faut fuir l’être aimé au risque de passer le reste de sa vie à se morfondre.
Loin cependant de ce sentier battu, le style de Jérôme Nouhouai reste assez original.


5- UN STYLE A LA KOUROUMA
Les soleils des indépendances n’aurait pas été publié que certainement, jamais, aucune maison d’édition occidentale n’aurait accepté éditer Nouhouai. Complètement novateur, l’auteur ouvre au Bénin une vague d’écriture qui mélange langues nationales africaines et langue française.
C’est d’abord une diglossie (procédé rhétorique qui consiste à mélanger deux langues dans un même texte) qui le contraint à produire un glossaire. Pas moins de trente quatre mots ont été empruntés dans divers registres de la langue fon du Bénin, et d’une langue ivoirienne. Ainsi, l’auteur nous habitue, tel Dave Wilson à cette salade linguistique qui a pour origine le caractère intraduisible de certaines de nos réalités en langue étrangère. En effet, comment voulez-vous que l’auteur puisse faire comprendre à ces lecteurs des mots comme Agbada, bomba, klouikloui ou encore amiwo, vidomingon…
La tournure qui paraît très originale chez Nouhouai, c’est aussi celle qui consiste à introduire la conjonction « que » au lieu de construire la phrase introductrice d’une réplique avec l’inversion du sujet. Ainsi, habitué à : « Tu es en quelle année ? » demanda –t- elle,  Jérôme Nouhouai nous propose :
« Tu es en quelle année ? » qu’elle demande. p. 43
« Bonjour » qu’elle dit en souriant ? p. 60
« Tu me cherchais ? qu’elle demanda avec sa voix de yovo. p.60
Un mélange de l’oralité et de l’écrit qui attire et distingue nettement l’auteur des autres.
Il y a surtout l’introduction de l’exclamation «  », emprunté certainement à la Côte-D’ivoire et au Burkina-Faso. Ainsi  on pourrait rencontrer un nombre incomptable de fois dans le roman :
« Dê ! Donc tout le monde était au courant que je courtisais assidûment Josiane »
« Ah oui, dê ! »
« Donc méfie-toi dê ! »…
Les figures de rhétorique sont énormes qui rendent le roman très riche en images. Cette étude se propose de se contenter juste d’en énumérer dix.
La comparaison
Procédé rhétorique qui consiste à rapprocher deux éléments comportant une caractéristique commune à l’aide d’un mot comparatif.
« Il était environ trois heures et la lune remplie comme un fruit mûr, brillantait une lumière hâve sur la surface de la terre. »
L’anadiplose
Procédé rhétorique qui consiste à reprendre le mot final d’une phrase au début de la suivante.
« J’avais déjà eu la triste occasion de contempler le cadavre d’un présumé voleur. Lynché et rôti. Rôti et brûlé. Brûlé et calciné. Ce n’était pas joli à voir. »

La personnification
Cette figure consiste à évoquer un objet ou une idée sous des traits d’un être humain
« Nous leur montrâmes la boule de lumière qui dansait sur les toits »
Répétition anaphorique ou anaphore horizontale
C’est la répétition d’un mot ou d’une expression au début de phrase ou de vers qui se suivent.
« On sentait l’effort maîtrisé dans la durée, la crispation des muscles, le choc des pubis. On sentait l’air s’alourdir d’effluves mêlant sueurs et sucs. »

L’oxymore
C’est un procédé rhétorique qui allie deux mots ou expressions désignant des réalités contradictoires.
« On était là lorsque soudain, une formidable déflagration illumina le ciel du quartier et nous statufia de terreur »
L’énumération 
Procédé qui consiste à énumérer plusieurs objets ou mots de même nature.
« Tu es le prototype parfait du Nègre tel que l’imaginent nos ennemis : basique, limité aux seuls plaisirs, sensuels et émotionnels »

La catachrèse
La catachrèse est une figure de style qui consiste à détourner un mot de son sens propre en étendant sa signification : le pied d'une table, être à cheval sur une
« Au-dessus, on voyait, les têtes travaillées des arbustes ainsi que les casuarinas dont le feuillage échevelé dissimulait une partie de la construction. »
L'hyperbate
L'hyperbate : dislocation de l'ordre des mots dans une phrase.
« Étaient visibles également les cuves obliques des antennes paraboliques »
L'allitération
L'allitération : répétition à intervalle régulier de la même consonne
« C’était Phina l’insatiable »
La prétérition
Elle consiste à déclarer passer sous silence une chose sur laquelle on attire néanmoins l’attention .
« Malcom et sa haine des Libanais. Mais je ne voulais pas y songer. Ça me paraissait à la fois trop grave et trop dangereux d’imaginer de telles choses… Il n’était pas sûrement le seul à détester les quelques Libanais installés dans le pays »
Le registre du roman, est dans l’ensemble la satire sociale. En effet, plusieurs phénomènes ont été dénoncés et le cadre de cette étude n’a pas pu les aborder tous. L’homosexualité, la corruption, la mauvaise gouvernance sont entre autres thèmes développés par l’auteur et qui ont reçu un traitement assez critique.
Au total, c’est un chef-d’œuvre que ce jeune béninois nous offre et je pense qu’au lieu de nous gaver avec une littérature étrangère vagabonde, véhiculant des réalités autres que les nôtres, nos dirigeants ont un grand intérêt à familiariser nos jeunes apprenants avec des auteurs de la nouvelle génération comme Jérôme Nouhouai, afin que les études puissent permettre de mieux comprendre chez soi.

Agence Sud Presse/ Anicet Fyoton MEGNIGBETO



LE PIMENT DES PLUS BEAUX JOURS DE JEROME NOUHOUAI : UN MONDE DICHOTOMIQUE OU NAGENT AMOUR ET HAINE

                                                                                
La littérature béninoise découvre à l’orée de cette deuxième décennie du millénaire, un jeune écrivain généreux dans l’écriture, prolixe dans l’imagination. Un talent exceptionnel puisque le réalisme de Flaubert et le don descriptif d’Honoré de Balzac se mélangent et créent une osmose parfaite. Le public littéraire littéraire peut se réjouir d’accueillir Jérôme Nouhouai puisque c’est de lui qu’il s’agit, car Florent Couao-Zotti a d’ores et déjà un dauphin dans l’art de réussir les polars dans un cadre spatio temporel typiquement béninois. Le monde universitaire aussi. Avec deux romans publiés la même année (2010) en effet, Jérôme Nouhouai a battu bien des records. La Mort du lendemain et Le piment des plus beaux jours sont ces chefs d’œuvre dont tout critique littéraire se réjouit.
Cette étude s’est choisie pour objectif de parler de la première publication Le piment des plus beaux jours, offerte par le Serpent à Plumes.

1-   RESUME DE L’ŒUVRE
Il est très difficile voire compliqué de faire le résumé linéaire de ce roman, tant l’histoire de chaque personnage est unique. Le seul point commun entre eux, c’est que, d’une manière ou d’une autre, chacun a un lien avec Nelson Kangni, le narrateur du roman.
Installé dans Abomey- Calavi, un cadre rustique, une ville périphérique de Cotonou, capitale économique du Bénin, l’histoire de ce roman est racontée par Nelson Kangni, un étudiant en 2ème année de Droit qui vit en collocation avec deux de ses amis. Jojo et Malcom alias Malko. Une vie tumultueuse à trois où tout est partagé sauf les idées de Malko, l’intello.
Les vacances de trois mois après la première session sur le campus sont le prétexte idéal offert à Nelson pour narrer une vie mouvementée où amour, haine, crime, sexe, prostitution et argent se mélangent. Nelson, lui, n’avait d’yeux que pour Josiane, une étudiante à l’ENAM, fille d’un ancien ministre de la République et député,  Maximo Assaba. La relation entre eux n’avait même pas commencé qu’elle prit fin. En effet, d’une part, Josiane était surveillée par des cerbères de son père qui voulait mieux pour sa fille et de l’autre, il y a Nelson lui-même qui, dans l’incapacité d’assouvir toute sa soif de Josiane se défoulait sur Nicole, une prostituée qui, frigide au départ pour avoir été violée, a retrouvé sa joie grâce au bon soin de Nelson. Mais mal lui en a pris car, par malheur pour lui, alors que Josiane était venue s’offrir à lui, elle le surprit avec Nicole après une partie de jambes en l’air. Elle dut se rabattre successivement sur deux Libanais dont le premier a essuyé la fougue de Nelson, jaloux et frustré.
Malko dont la sœur a été tuée par un Libanais, n’a jamais cessé de ruminer sa colère contre eux. Sa haine s’est même transformée en un militantisme engagé qui l’a conduit à rentrer dans une nébuleuse « Le calice noir ». D’agression physique de libanais ou d’indo-pakistanais, ils sont passés à des incendies de boutiques, des braquages et même à des attentats à la bombe. Les soupçons de Nelson à propos de l’implication de Malko se confirmèrent lorsqu’il le vit lui-même  en action à Maro militaire. La longue enquête policière et militaire  a fini par aboutir et Malko fut assassiné dans des conditions très peu élucidées. Car il avait réussi  à se déguiser en femme et prenait la fuite.
Jojo lui, ne jure que par  Cupidon. Il est maître dans ce que le narrateur lui-même a appelé grossièrement bien sûr, T T T , Tout Trou est Trou. Phina la voisine et domestique des da Silva, une vieille touriste italienne, Ingrid l’allemande, Sophie l’inconnue et même Nicole ont  toutes pris par là. Tout a réussi à Jojo, les femmes et surtout les études pour lesquelles il gagne à la loterie visa pour se rendre aux Etats-Unis. Même la malédiction de Phina dont il rejeta la grossesse n’aura eu aucun effet sur lui. 
Enfin , Juju, alias Justin devenu colocataire circonstanciel après le départ de Malko pour ses activités mafieuses s’est vu renvoyé de la maison pour avoir mis enceinte une jeune élève de 3ème. Fils d’un ancien ministre de la période révolutionnaire, il a pourtant eu du mal à bénéficier du soutien, non seulement de ses parents propres, mais et aussi de sa belle famille.
Nelson,  Jojo, Malcom, Justin sont ainsi les principaux personnages, tous étudiants autour desquels est conçue cette histoire palpitante à couper le souffle. Une histoire dont presque tout paraît réel parce qu’existant.



2-     UN ROMAN REALISTE.      

Apparu dans la deuxième moitié du XIXème siècle français, le courant littéraire réaliste est né pour contrer les envolées lyriques, illusionnistes sur le bord, du romantisme. Il est surtout marqué par Honoré de Balzac à travers Le père Goriot, Stendhal dans Le rouge et le noir, qui ont pris la société réelle comme cadre d’action.
 «  La maison où s'exploite la pension bourgeoise appartient à Mme Vauquer. Elle est située dans le bas de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, à l'endroit où le terrain s'abaisse vers la rue de l'Arbalète par une pente si brusque et si rude que les chevaux la montent ou la descendent rarement. [..] . Nul quartier de Paris n'est plus horrible, ni, disons-le, plus inconnu. »
Honoré de Balzac, Le père goriot, Librairie générale française, Paris,1961, pp.19-20
«  Mme de Rênal regardait les grosses larmes, qui s'étaient arrêtées sur les joues si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d'une jeune fille »
Stendhal, Le Rouge et le noir - Début du chapitre 6 -

Mais c’est notamment avec Gustave Flaubert que le terme sera le plus connu.  En effet, le souci du réalisme était si patent chez lui que pour narrer l’empoisonnement d’Emma dans Madame Bovary, il dut lire toute une documentation sur la médecine.
«  Puis elle se mit à geindre, faiblement d'abord. Un grand frisson lui secouait les épaules, et elle devenait plus pâle que le drap où s'enfonçaient ses doigts crispés. Son pouls inégal était presque insensible maintenant. Des gouttes suintaient sur sa figure bleuâtre, qui semblait comme figée dans l'exhalaison d'une vapeur métallique. Ses dents claquaient, ses yeux agrandis regardaient vaguement autour d'elle, et à toutes les questions elle ne répondait qu'en hochant la tête ; même elle sourit deux ou trois fois. Peu à pu, ses gémissements furent plus forts. Un hurlement sourd lui échappa…
Gustave Flaubert, Madame Bovary,

Ce mouvement littéraire a donc pour principe fondamental de présenter l’homme dans ses réalités quotidiennes : son cadre de vie, son vécu...
Jérôme Nouhouai n’étant pas du XIXème siècle français, son œuvre ne s’inscrira pas dans le courant littéraire réaliste, mais dans le registre littéraire inspiré de celui-ci et qu’empruntent certains  auteurs soucieux de partager avec leur public l’univers dans lequel ils vivent.
Jérôme Nouhouai n’est pas le premier Béninois à prendre le cadre de chez lui comme espace romanesque. Florent Couao-Zotti, notamment dans Les fantômes du Brésil, où la ville historique de Ouidah est revisitée de fond en comble, Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire, où allègrement, le lecteur est promené de Cotonou à Pahou en passant par Godomey… et Edgar Okiki Zinsou dans la nouvelle « la femme du mari inconnu » in La femme du mari inconnu, avec toujours Godomey, Cotonou, comme cadres d’action, l’ont précédé.
Seulement, chez Nouhouai, il y a cette petite particularité qui installe le cadre dans un univers estudiantin. De futurs cadres d’un pays qui, faute de moyens, durent se réunir à trois, non pas à Zogbadjè où ils auraient pu être proches du campus, mais à Calavi, à quelques kilomètres. Le réalisme de Nouhouai, dans ce roman commence donc par l’espace. Un espace ouvert, présenté par un narrateur homodiégétique qui conduit les personnages de calavi, la ville dortoir, précisément à Zoka d’abord vers le campus puis vers Cotonou où Akpakpa, Dantokpa, Maro-militaire, Zongo, Jonquet, Haie-vive, Saint Michel, Missèbo, Ganhi, Aidjèdo, et Zogbo seront passés en revue.
Non seulement ces quartiers sont réels, mais surtout les lieux qui y sont indiqués, même s’ils sont fictionnels s’approchent eux aussi de la réalité. ‘’Chez Max’’ à Jonquet par exemple, n’est pas loin de ‘’Chez Alex’’ dans ce même quartier. De même, la boutique ‘’Beauté légère’’ se trouve être la photocopie conforme de ‘’Beauté ronde’’ sur l’esplanade du terrain de Kouhounou. Tounde Motors a carrément même été évoqué.
L’évocation des villes telles que Porto-Novo, Ouidah, Parakou, Malanville, ou Tchoumi-Tchoumi, et surtout la célébration du 1er août 1960 comme fête d’indépendance, installent définitivement l’histoire dans un espace béninois avéré. C’est pour cela que la présence des chaînes de télévision-LC2, GOLF TV, ORTB … n’apparait plus surprenante.
L’onomastique est également d’inspiration béninoise. En effet, tous les personnages, compatriotes  du narrateur et lui-même Nelson Kangni portent des noms à résonnance du Sud Bénin. Ce nom « Kangni », d’ailleurs,  est le même que celui d’un dramaturge togolais, Alem Kangni. Malcom Kossou, Justin Kêkê, Maximo Assaba, Josiane Assaba, Adrien Midombo, alias Papa Chicotte, Isidore Mensah (Ministre des finances), André Guidibi (Ministre des transports publics-en référence à Edgar), Marcel Vidokin(journaliste), Sandra Kangni (sœur de Nelson), Justin Solloté(journaliste- qui rappelle  la fois Justin Roger Migan,  Pélagie Solloté) Gérard Médégan (commissaire général de la Police), Joseph Toffo, Norbert Assaba (peut-être en référence à ce professeur dispensant les cours au département de sociologie, Professeur de sociologie), Adjinou (jeune étudiant tabassé pour avoir osé poser les yeux sur Josiane, Karine Djossou(camarade de classe de Sandra, devenue fiancée de Juju). Antoine Datondji , (Ministre de l’intérieur), Nicolas Amoussouga (commandant de la gendarmerie), capitaine Mamadou Moumouni (capitaine retraité de l’armée dont la maison inachevée sert de repaire aux membres du calice noir), Thierry Tossou, (Sergent Chef, oncle de Jojo), Damien Codjo, (étudiant, doyen de tous les étudiants), Dah Houawé (journaliste, portant le même nom que celui de CAPP FM, officiant tous les jours ordinaires à 10heures pour une revue de Presse en fongbe).
L’action aussi.
La vie à trois,  menée par Jojo, Nelson et Malcom et après le départ de celui-ci, Juju, ne doit étonner aucun béninois qui s’intéresse aux réalités académiques du pays. Faute de moyens en effet, plusieurs étudiants se retrouvent dans l’incapacité de se payer une maison décente. Par solidarité mais aussi par nécessité, ils se retrouvent ainsi à deux, trois, quatre et même parfois plus à partager un espace réduit. Les tables servant quelques fois de lits ou de matelas. Le narrateur a même utilisé le mot « réduit » pour désigner leur cadre de vie.
Le choix de Calavi n’est pas anodin. Zogbadjè, le village universitaire est déjà saturé. Les propriétaires terriens voyant l’ampleur que prennent les demandes de location chaque année n’hésitent pas à construire de nouvelles maisons plus jolies certes, mais très chères. Pire, les anciennes maisons sans autres formes de procès connaissent des augmentations exponentielles. On n’en veut pas aux propriétaires pour autant, c’est la loi du marché. Mais beaucoup d’étudiants, démunis, se retrouvent ainsi exclus du système et vont chercher ailleurs, loin du campus, quitte à devenir des éternels abonnés au bus.
Si Nelson et ses amis se retrouvent à Calavi, cela s’expliquerait donc par cet aspect de manque de moyens surtout que c’est la maison d’un instituteur retraité qui est louée. L’instituteur béninois a une marge financière que personne n’ignore. On s’imagine donc ce qu’il a pu mettre à disposition des personnages. Jérôme Nouhouai, voudra ainsi interpeller les autorités politico-administratives à beaucoup s’intéresser aux conditions de vie estudiantine, puisque, même les critères pour se retrouver dans les cabines universitaires sont parfois discriminatoires, régionalistes et souffrent d’un mal incurable : la corruption.
A propos de cet instituteur, Papa chicotte, les interdits qu’il affiche ne sont pas non plus étrangers au commun des Béninois. L’on rencontre ici et là, des propriétaires zélés, imposant des lois irréalistes. Car, interdire à de jeunes étudiants de venir à la maison avec leurs petites amies, c’est empiéter sur leur vie privée.
Le réalisme de l’action  ne se limite pas à la vie des étudiants en dehors de leur lieu d’étude. Le campus d’Abomey-Calavi est décrit dans une vérité crue. Les emplacements de l’ENEAM, du rectorat, de la FLASH, de la FASJEP, sont rapportés dans leur moindre détail réel.
Par ailleurs, même si elle est mêlé de fiction, cette haine pour les libanais existe au Bénin. En effet, tout ce que Malko rumine contre les Libanais est vrai : la corruption, le proxénétisme, la zoophilie à laquelle les jeunes filles sont mêlées contre de maigres sous…. Le groupe mythique de théâtre Semako WOBAHO, a même traduit ce sentiment à travers une chanson, générique de l’un de  leur télé-film.
La réalité des faits, c’est enfin ce triple braquage de Dantokpa, où des banques ont été dévalisées suivi des réactions musclées mais infructueuses des forces de l’ordre.

3- UNE XENOPHOBIE AGISSANTE

 De deux mots grecs Xénos, étranger, et Phobos, peur, effroi, la xénophobie, signifie, la peur ou la haine de l’étranger. Cette haine qui fait qu’un individu prend toutes les dispositions même les plus malsaines ou meurtrières afin que l’autre qui n’est pas chez lui, ne se retrouve pas dans son rayon de vie ou d’activité. Ce sentiment ou cette réaction conduit, une région, un pays et même le monde dans des guerres interminables.
Malko, rongé par cette haine des libanais à Cotonou, n’a pu  se contenir.  Il est vrai, l’histoire de sa famille racontée peu après sa mort par son géniteur, est pathétique. Voir sa sœur mourir, se retrouver avec des séquelles de jambes brisées, subir la grande humiliation d’assister au mépris de « l’étranger » qui se permet tout chez soi… tout ceci est très difficile à supporter. Comment expliquer, et cela est avéré, qu’au moment où des peuples africains sont chassés, rapatriés manu militari d’ailleurs, non pas parce qu’ils ont commis des actes répréhensibles, mais juste pour s’être retrouvés sur un territoire qui n’est pas le leur, un simple étranger, si Blanc soit-il fasse la loi chez soi. Ces mots sortis difficilement de la bouche du père de Malcom en larmes, pleurant son fils, sont assez édifiants : « vous savez que même quand on est étranger et qu’on a de l’argent dans ce pays, on peut tout se permettre »
Dans un pays où on est en mesure d’enfermer un citoyen juste pour son véhicule dont l’assurance n’est pas à jour et non pour absence d’assurance dans un accident où seuls de légers dégâts matériels ont été constatés, on peut comprendre la rancœur de quelqu’un qui voit le chauffeur d’une voiture qui a tué sa sœur, non seulement en liberté, mais qui se permettent le luxe de narguer, de proposer arrogamment de l’argent ou même de licencier.
L’intégration de Malcom au Calice Noir, n’est pas à encourager certes, mais contrairement aux Européens et autres qui ont de la haine gratuite pour les Noirs, on peut comprendre la haine de Malcom envers les Libanais. Plusieurs articles de presse ont fait état de ce ressentiment des Béninois envers cette communauté notamment celui de Courrier international, du 08 janvier 2004 intitulé : « A Cotonou, les Libanais ne sont pas en odeur de sainteté » où le journaliste expliquait que « Le crash d'un avion libanais à Cotonou a provoqué des sentiments ambigus au Bénin. Un pays où les Libanais sont aussi influents que mal aimés. »
Pire, sur le site Koaci.com, le journaliste Sékodo, a révélé dans un article datant du 20 janvier 2012 avec pour titre « Mauvais temps pour les Libanais: Arrestation de Kodeih et expulsion de Karroubi » repris également par jalome.com, non seulement les activités très peu légales que mènent les Libanais à Cotonou mais aussi et surtout la complicité dont ils bénéficient de la part des autorités : « Selon un juriste qui requiert l'anonymat, le gouvernement a mis la charrue devant les bœufs. ''Blanchiment d'argent et trafic de drogue sont des infractions, donc des crimes internationaux.  Et tout crime est puni par les dispositions légales. Le gouvernement en agissant ainsi, a fait une fuite en avant. La logique serait de rassembler toutes les pièces justificatives de ces infractions, puis de passer à la punition. Et c'est après qu'interviendra la décision d'expulsion. Le gouvernement va-t-il revenir encore à la punition avant l'expulsion ? C'est une interrogation'' a-t-il lancé. Après le Libanais Kodeih reconnu pour les affaires du genre, qui est actuellement gardé au commissariat central de Cotonou, voilà un autre groupe libanais dirigé par Ali Mohamed Kharroubi, qui vient d'être expulsé du Bénin. »

L’autre fait pour lequel, on pourrait comprendre Malcom est son chômage.  Avoir su poursuivre ses études sans père ni mère, avec la hantise de l’image de  sa sœur dont la vie est brisée par un chauffard, réussir à obtenir le Bac, passer quatre ans sur le campus avec toutes ces difficultés de la vie estudiantines, obtenir enfin sa Maîtrise et se retrouver sans travail sérieux, cela peut donner des envies et pas toujours de bonnes. C’est aussi un grand cri d’alarme de l’auteur afin qu’un clin d’œil soit porté vers la politique d’insertion sociale des jeunes diplômés. Le grand Voltaire a raison, « le travail éloigne de nous trois maux : l’ennui, le vice et le besoin ». Certainement que Malcom ne serait pas enrôlé dans cette affaire s’il était occupé à exercer un métier digne du nom. On ne demande pas forcément à l’Etat de faire de tous les diplômés ses agents. Seulement une politique d’auto-emploi devrait être élaborée pour rendre responsable chaque jeune. Cela éviterait, non seulement les envies de vol, mais surtout la tentative de se mettre en association pour nuire aux autres si mauvais soient-ils.
Seulement et je pense que c’est l’avis de l’auteur aussi, une ligne rouge a été franchie par Malcom et on n’a pas besoin d’avoir cette position extrémiste. Le narrateur aussi a bien des raisons de s’en prendre aux Libanais, car lorsque Josiane l’a laissé, elle s’est retrouvée avec des Libanais. La haine du narrateur aurait pu aussi se transformer en cette envie d’en finir avec les Libanais et les Indo-pakistanais, de commettre des attentats en plein Cotonou, ou de rentrer dans une nébuleuse. Mais lui, a su refuser, (peut-être à cause de l’histoire de Malcom) quand la même proposition lui a été faite sur le campus.
Je l’ai déjà dans un article intitulé « De l’ivoirité à la francité, Fillon creuse le sillon » : « Toutes les guerres du monde à commencer par celle d’Hitler ont eu pour sous bassement, la xénophobie. » Ce n’est donc pas un sentiment bénéfique, au contraire, on doit pouvoir le classer dans les états affectifs négatifs.
La xénophobie en réalité ne conduit à rien de bon et quelles que soient les circonstances atténuantes que l’on pourrait trouver pour ce personnage, il est à condamner avec la dernière rigueur. L’histoire de l’humanité nous renseigne que lorsque ce sentiment atteint quelqu’un ou un peuple, c’est la catastrophe. La deuxième guerre mondiale, on nous l’enseigne, a pour cause la haine d’Hilter et par ricochet de certains Allemands envers le Juifs. Le Rwanda, avec les Hutu et les Tutsi, la Côte-d’ivoire entre le Nord et Sud, et rien ne garantit que tôt ou tard le Bénin  ne passera pas par là si on y prend garde.
Même si cela relève de la fiction le passage suivant attribué à la mère du narrateur est bien révélateur de ce que le Béninois peut ressentir envers  des peuples voisins qui viennent leur rendre visite.
« Ma mère était régionaliste et xénophobe et ne s'en cachait pas. Lorsque nous habitions encore à Maro-Militaire, nous avions pour voisins, au rez-de-chaussée, des Nigériens qui avaient la fâcheuse habitude de mâchonner du cola et de cracher partout, dans la rue comme à l'intérieur de la maison. Un jour qu'elle faillit perdre l'équilibre sur une expectoration plus visqueuse ou plus épaisse que d'habitude, il s'en était suivi une mémorable dispute mêlant fon, français, malinké, bambara et autres dialectes du Niger. « Tominnou , Kaï-Kai\ mal élevés ! Retournez garder vos moutons ! » criait ma mère. Lors de cette dispute qui ameuta toute la maisonnée et une partie du quartier, elle fut soutenue par d'autres habitants et des passants qui, prenant les Nigériens pour des compatriotes nordistes, éructaient: - Les gens du Nord, ils sont comme ça ! » Par Nord, on entendait la partie septentrionale du pays que les gens du Sud ne semblaient pas apprécier et réciproquement. Ensuite, lors de sporadiques pics de banditisme dans le pays où on apprenait que tel brigand de nationalité d'un pays voisin était appréhendé, elle ne manquait jamais de maugréer: « Ces Ibos djimakplom, toujours eux! Pourquoi ne restent-ils pas dans leur pays à s'entretuer ? »

 Des précautions énormes doivent donc être prises afin que l’on ne puisse jamais laisser développer ce sentiment dans un peuple.
« Prends garde aux ressentiments. C’est la voie de la perte et de l’errance », a conseillé le narrateur et c’est plus sage.
C’est pourtant dans ce monde de haine, d’insultes et de méchanceté que le narrateur a pu vivre deux histoires d’amour.

4- UN FANTASME INASSOUVI

A l’instar du roman Les  fantômes de Brésil de Florent Couao-Zotti ou de Doguicimi de Paul Hazoumè, Le piment des plus beaux jours de Jérôme Nouhouai est un récit avec comme fond, une trame amoureuse tumultueuse entraînant les lecteurs à vivre des passions les plus folles, des émotions les plus sordides.
Mais contrairement à Doguicimi et le Prince Toffa dans Doguicimi, Anna Maria et Pierre dans les Fantômes du Brésil où l’histoire pathétique et tragique finit comme un drame Shakespearien, Nelson Kangni, et josiane Assaba, n’ont même pas commencé l’histoire avant qu’elle ne finisse.
Fol amoureux de la jeune Josiane dont les parents sont riches, le premier problème auquel s’est heurté Nelson est sa condition de vie. Un ancien ministre et député ne peut concevoir que sa fille, élevée à des centaines de millions de francs, joigne sa vie à celle d’un pauvre étudiant, incapable de se payer un appartement décent. Ainsi, même en ne le  connaissant pas, celui-ci a pris la décision de préserver sa fille de tous ces garçons, à vils prix qui croient qu’il suffira de dire « je t’aime » à une fille pour l’avoir dans leur lit. La réputation de Josiane en la matière est très connue, et plusieurs aventuriers avaient déjà essuyé des malheurs de la part des gardes de corps spécialement commis pour prévenir la jeune et sulfureuse Josiane de ces garnements. En l’absence permanente du père sur le campus,  c’est même l’oncle Norbert Assaba, professeur du département de sociologie, qui, en l’œil de Caïn, surveille tous les faits et gestes de la jeune fille hors de son amphithéâtre.
Nelson, quant à lui, après avoir été suspecté longuement, après qu’on a déchaîné des chiens à sa poursuite devant la grande villa de Maximo Assaba,  a dû agir héroïquement dans un combat à la Trabi (héros du roman Les tresseurs de cordes de Jean Pliya). Cela lui a accordé plus de point chez la fille qui commençait à déjà l’aimer. Et lorsqu’il reçut ce premier baiser de Josiane, langoureux, fougueux comme celui de Julie à Saint-Preux au bosquet dans la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, la passion de Nelson pour Josiane s’est décuplée. Point d’heure sans penser à elle. Tous les manèges ont été possibles à Josiane afin de contourner le mur épais qu’ont érigé ses parents entre elle et le monde extérieur- rencontre en catimini sur le campus- usage de téléphone portable de ses amis- etc…
Elle était prête à tout pour vivre cet amour avec Nelson. Seulement, cet amour n’a pas su surmonter le mal éternel dans les relations dans un couple : la  jalousie.
Dans l’incapacité d’avoir Josiane à portée de main comme il l’aurait voulu, en  effet, Nelson assouvissait tranquillement sa soif dans les yeux de Nicole. L’effort fourni par Josiane pour non seulement échapper à ses parents mais retrouver la maison de Nelson afin de s’offrir à lui, s’est avéré infructueux. Elle finit par donner raison à ses parents que tout pauvre étudiant restera pauvre non seulement financièrement mais aussi dans son intelligence. Les Libanais, riches et puissants seront appelés à la rescousse.
Cette option de Josiane a fini par parfaire la haine que Nelson ruminait déjà sa colère contre les Libanais. De la bonne passion au début, cette belle relation qui retient l’attention du lecteur, s’est transformée en une véritable haine des deux côtés. Josiane, définitivement tournée vers un univers plus grand et Nelson avec plus encore de hargne envers cette race de gens, qui non contents de venir terrasser le peuple sur le plan économique, privent la jeunesse, des meilleurs fruits de ses passions.
Seule la bonne correction donnée au premier libanais à la sortie d’une boîte de nuit, restera sa seule satisfaction. Le narrateur et c’est à ce niveau que son point de vue interne a constitué un handicap au lecteur, n’a jamais dit un mot de ce que Josiane a ressenti après l’avoir surpris chez Nicole. Elle est certes sortie avec deux Libanais, mais les conditions dans lesquelles cela s’est passé n’ont pas été dévoilées ; cela aurait peut-être permis au lecteur de connaître ses motivations ; si c’est par vengeance, par contrainte ou par véritable amour pour eux.
Cela aurait permis de savoir si vraiment elle a aimé Nelson ou c’est une stratégie développée pour échapper au contrôle parental. Car, on ne peut pas comprendre que juste parce qu’elle a vu son amant chez une autre fille, elle puisse lui tourner dos sans même chercher à entendre son son de cloche. Quel est cet amour qui change brusquement du jour au lendemain ? L’amour est un état affectif qui peut être positif ou négatif c’est vrai, mais quelles que soient les raisons, il ne peut disparaître si brusquement du jour au lendemain, à moins que celui qui le ressent y mêle la Raison. Il n’est pas question de condamner ici Josiane, l’amour est insaisissable, on le sait, mais,  le fait est que, loin d’agir comme un personnage du rang où le narrateur l’a placée, elle a agi comme la plupart des jeunes filles, impulsive, sans retenue, matérialiste.
Nelson lui, non plus, n’est pas exempt de tout reproche. C’est parce que c’est lui qui raconte l’histoire qu’on pourrait tenter de lui trouver des circonstances atténuantes. L’histoire aurait été de Josiane qu’elle serait tout autre. Rien ne saurait justifier cette vie vagabonde. Substituer une fille à une autre, c’est un manque de respect. Mais il a souffert, et même si nous ne sommes pas dans La Nouvelle Héloïse, nous avons eu l’expression abondante d’états affectifs négatifs. De la colère à la mélancolie, en passant par le regret, la tristesse, la peur, la haine… Nelson aura tout connu.
Le simple pardon de Josiane aurait orienté la fin de l’histoire vers l’expression d’états affectifs positifs. Mais, une fois encore, cette vie amoureuse tumultueuse, loin des télénovelas, dont on nous asphyxie la vie en Afrique,  confirme à l’instar d’Ahouna et Anatou, que l’amour est un drame racinien : les protagonistes sont, la plupart du temps, éloignés pour diverses raisons de ceux qu'ils aiment.
Andromaque, Phèdre, Britannicus, Bérénice sont autant de pièces de Jean Racine où l’aspect douloureux de cet état affectif est mis en exergue. Quand on aime chez Racine, on se sépare absolument de l’être l’aimé. Bérénice dans Bérénice se désole ainsi, « Adieu (…) Combien ce mot est cruel et affreux quand on aime » et prononce ce vers qui caractérise si bien la passion dans la tragédie racinienne : « d’un amour qui devait unir tous nos moments ». (Acte IV, scène 5 vers 1107)
C’est dire que si  Nelson n’a pas pu assouvir ses fantasmes, cela va dans l’ordre normal des choses. Quand on tombe amoureux, il faut fuir l’être aimé au risque de passer le reste de sa vie à se morfondre.
Loin cependant de ce sentier battu, le style de Jérôme Nouhouai reste assez original.


5- UN STYLE A LA KOUROUMA
Les soleils des indépendances n’aurait pas été publié que certainement, jamais, aucune maison d’édition occidentale n’aurait accepté éditer Nouhouai. Complètement novateur, l’auteur ouvre au Bénin une vague d’écriture qui mélange langues nationales africaines et langue française.
C’est d’abord une diglossie (procédé rhétorique qui consiste à mélanger deux langues dans un même texte) qui le contraint à produire un glossaire. Pas moins de trente quatre mots ont été empruntés dans divers registres de la langue fon du Bénin, et d’une langue ivoirienne. Ainsi, l’auteur nous habitue, tel Dave Wilson à cette salade linguistique qui a pour origine le caractère intraduisible de certaines de nos réalités en langue étrangère. En effet, comment voulez-vous que l’auteur puisse faire comprendre à ces lecteurs des mots comme Agbada, bomba, klouikloui ou encore amiwo, vidomingon…
La tournure qui paraît très originale chez Nouhouai, c’est aussi celle qui consiste à introduire la conjonction « que » au lieu de construire la phrase introductrice d’une réplique avec l’inversion du sujet. Ainsi, habitué à : « Tu es en quelle année ? » demanda –t- elle,  Jérôme Nouhouai nous propose :
« Tu es en quelle année ? » qu’elle demande. p. 43
« Bonjour » qu’elle dit en souriant ? p. 60
« Tu me cherchais ? qu’elle demanda avec sa voix de yovo. p.60
Un mélange de l’oralité et de l’écrit qui attire et distingue nettement l’auteur des autres.
Il y a surtout l’introduction de l’exclamation «  », emprunté certainement à la Côte-D’ivoire et au Burkina-Faso. Ainsi  on pourrait rencontrer un nombre incomptable de fois dans le roman :
« Dê ! Donc tout le monde était au courant que je courtisais assidûment Josiane »
« Ah oui, dê ! »
« Donc méfie-toi dê ! »…
Les figures de rhétorique sont énormes qui rendent le roman très riche en images. Cette étude se propose de se contenter juste d’en énumérer dix.
La comparaison
Procédé rhétorique qui consiste à rapprocher deux éléments comportant une caractéristique commune à l’aide d’un mot comparatif.
« Il était environ trois heures et la lune remplie comme un fruit mûr, brillantait une lumière hâve sur la surface de la terre. »
L’anadiplose
Procédé rhétorique qui consiste à reprendre le mot final d’une phrase au début de la suivante.
« J’avais déjà eu la triste occasion de contempler le cadavre d’un présumé voleur. Lynché et rôti. Rôti et brûlé. Brûlé et calciné. Ce n’était pas joli à voir. »

La personnification
Cette figure consiste à évoquer un objet ou une idée sous des traits d’un être humain
« Nous leur montrâmes la boule de lumière qui dansait sur les toits »
Répétition anaphorique ou anaphore horizontale
C’est la répétition d’un mot ou d’une expression au début de phrase ou de vers qui se suivent.
« On sentait l’effort maîtrisé dans la durée, la crispation des muscles, le choc des pubis. On sentait l’air s’alourdir d’effluves mêlant sueurs et sucs. »

L’oxymore
C’est un procédé rhétorique qui allie deux mots ou expressions désignant des réalités contradictoires.
« On était là lorsque soudain, une formidable déflagration illumina le ciel du quartier et nous statufia de terreur »
L’énumération 
Procédé qui consiste à énumérer plusieurs objets ou mots de même nature.
« Tu es le prototype parfait du Nègre tel que l’imaginent nos ennemis : basique, limité aux seuls plaisirs, sensuels et émotionnels »

La catachrèse
La catachrèse est une figure de style qui consiste à détourner un mot de son sens propre en étendant sa signification : le pied d'une table, être à cheval sur une
« Au-dessus, on voyait, les têtes travaillées des arbustes ainsi que les casuarinas dont le feuillage échevelé dissimulait une partie de la construction. »
L'hyperbate
L'hyperbate : dislocation de l'ordre des mots dans une phrase.
« Étaient visibles également les cuves obliques des antennes paraboliques »
L'allitération
L'allitération : répétition à intervalle régulier de la même consonne
« C’était Phina l’insatiable »
La prétérition
Elle consiste à déclarer passer sous silence une chose sur laquelle on attire néanmoins l’attention .
« Malcom et sa haine des Libanais. Mais je ne voulais pas y songer. Ça me paraissait à la fois trop grave et trop dangereux d’imaginer de telles choses… Il n’était pas sûrement le seul à détester les quelques Libanais installés dans le pays »
Le registre du roman, est dans l’ensemble la satire sociale. En effet, plusieurs phénomènes ont été dénoncés et le cadre de cette étude n’a pas pu les aborder tous. L’homosexualité, la corruption, la mauvaise gouvernance sont entre autres thèmes développés par l’auteur et qui ont reçu un traitement assez critique.
Au total, c’est un chef-d’œuvre que ce jeune béninois nous offre et je pense qu’au lieu de nous gaver avec une littérature étrangère vagabonde, véhiculant des réalités autres que les nôtres, nos dirigeants ont un grand intérêt à familiariser nos jeunes apprenants avec des auteurs de la nouvelle génération comme Jérôme Nouhouai, afin que les études puissent permettre de mieux comprendre chez soi.

Agence Sud Presse/ Anicet Fyoton MEGNIGBETO