samedi 17 septembre 2011

OPINION A quand nos langues ?




Je ne suis pas membre de la Pléiade, ce groupe de Joachim du Bellay qui,  au XVIème siècle français, a défendu et a illustré la langue française à travers un manifeste.
 Je ne suis pas René Descartes qui, suivant ses aînés, a écrit le premier ouvrage de haute portée philosophique en langue française : Discours de la méthode.
Je ne suis pas non plus François 1er, ce roi de France qui, entre le 10 et le 15 août 1539, a pris l’ordonnance de Villers-Cotterêts, forte de cent quatre vingt douze articles, et a imposé le français comme langue officielle en remplacement du latin et des autres langues du pays.
Je voudrais juste être Jean Marie Adiaffi pour dire à propos de nos langues : « le feu est déjà dans la maison, […] il faut, sans attendre appeler les pompiers. »[1]
Les pays africains ont eu la malchance comme certaines nations du monde de subir une colonisation sévère. Le colon jugeant les cultures des colonisés barbares, commence toujours le processus d’acculturation par l’imposition de sa langue.
La France, alors qu’elle n’avait pas encore développé sa propre langue, a connu le diktat du latin qui était la langue d’expression des grandes idées élitistes.
L’Afrique, de 1885 à 1960 ou 1975, a été mise sous le joug des grandes nations expansionnistes européennes ; la France, l’Allemagne, l’Angleterre, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. Pour asseoir leur culture, elles ont créé des écoles où leurs langues sont enseignées.
Mais contrairement aux autres pays, la France imposa l’exclusivité de sa langue. Ce qui fait que, dans la plupart des pays francophones jusqu’à nos jours, l’alphabétisation dans les langues nationales marque le pas. Au Nigéria par exemple, le Yoruba et le Haoussa sont enseignés à l’université et de grandes œuvres sont publiées dans ces langues. Des logiciels existent même aujourd’hui pour les transcrire et les traduire.
L’espoir du peuple béninois s’était reposé sur la Conférence des Forces Vives de la Nation en février 1990. En effet, l’élaboration d’une nouvelle Constitution devrait prendre en compte les langues nationales et leur accorder une place de choix et ceci sans ambigüité
Hélas, rien n’y fit. Et c’est le professeur Guy Ossito Midiohouan qui constate cette défaillance : « la discrimination que fait la constitution du 11 décembre 1990 entre le français proclamé « langue officielle » et les langues nationales, sans statut juridique et dont aucune n’est citée, est la cause principale du blocage du projet d’introduction des langues nationales dans l’enseignement formel comme matières puis comme véhicules du savoir. »[2] 
Cette amère remarque sur fond de regret dénote du laxisme des constitutionalistes qui, ce faisant, laissent une liberté exceptionnelle aux hommes politiques de jouer avec l’enseignement de nos langues.
On a cru un instant, que le pouvoir du changement avait enfin compris le gâchis que cela représentait et  qu’il allait corriger  les décennies d’errements en adoptant une politique linguistique sérieuse.
La création de ce ministère des langues nationales, on le constate maintenant, n’a malheureusement été qu’un feu de paille qui a aussitôt pris fin comme il a commencé. D’un département ministériel autonome, il est par la suite confondu avec d’autres et,  de plus en plus perd sa visibilité.
Je ne comprends pas, mais on dirait que, comme un disque rayé, l’histoire du pays se répète. Car, qui pourrait croire qu’un simple remaniement ministériel serait un coup d’arrêt porté à une aussi noble initiative que la revalorisation des langues nationales. C’est comme si le pouvoir n’était pas une continuité chez nous.
 Des  programmes  avaient pourtant été élaborés à coup de millions et  un plan de démarrage mis en œuvre pour l’introduction effective des langues nationales dans le système éducatif. Les férus de la culture salivaient déjà. Mais au final, rien. On dirait que tout ce travail alléchant  a été rangé au placard et jeté aux oubliettes.
Les intellectuels de ce pays à mon entendement oublient le rôle qui est le leur. Car si le politique faillit, c’est à eux que revient le droit et l’obligation de lui montrer que « si nous enterrons nos langues, dans le même cercueil, nous enfouissons à jamais nos valeurs culturelles, toutes nos valeurs culturelles, d’autant plus profondément que, n’ayant pas d’écriture, la langue reste l’unique archive. » Jean Marie Adiaffi.
Le pays colonisateur qu’on accuse de ne pas vouloir du développement de nos langues a pleinement raison. A défaut des nôtres, c’est la sienne qui est enseignée et parlée. C’est sa culture que nous divulguons. C’est sa civilisation qui s’impose à nous. Ce sont nos valeurs que nous piétinons au profit des siennes. Albert Gandonou disait peut-être avec ignorance que « quand nous enseignons une œuvre écrite en français par l’un d’entre nous, c’est-à-dire par un Noir d’ici et d’ailleurs, nous n’enseignons autre chose que la littérature française »[3] Le fond de vérité de cette affirmation est que la langue de l’autre ne s’enseigne pas sans sa culture.
Nous enrichissons les autres lorsqu’au  lieu de développer nos langues, nous travaillons et véhiculons nos savoirs à travers les leurs.   
Nous devons revoir donc notre politique linguistique et penser surtout aux générations futures. Notre culture risque de disparaitre dans le concert des nations. Car au rendez-vous du donner et du recevoir les autres viendront avec des écrits dans leurs langues et nous avec des idées mal traduites dans une langue qui n’aura pas été la nôtre. Or, « L’humanité serait vraiment pauvre si nous devions tous nous transformer en Européens. Il est souhaitable que dans des rencontres [de ce genre] chacun puisse apporter son chant, sa danse. » Ces   propos du vieux Tiéman dans Sous l’orage de Seydou Badian traduisent bien le danger que nous courons tous en abandonnant nos langues.
Le Madagascar a eu le courage de supprimer le français au primaire. Le Rwanda a troqué le Français contre l’Anglais. Le Sénégal enseigne le wolof et plusieurs de ses films sont sous titrés dans cette langue. Il  suffit de suivre les chaines internationales sénégalaises (RTS, 2STV, TFM, RDV…) pour constater comment ce pays a réussi l’intégration des langues nationales dans leurs programmes.
Les Maghrébins : la Tunisie, l’Algérie et  surtout le Maroc récemment ont lutté pour avoir à côté du Français et de l’Arabe au moins le Berbère comme langue nationale.
Nous, nous tergiversons encore, attendant peut-être le Messie qui un jour révolutionnera l’univers linguistique de notre pays.
Agence Sud Presse/Anicet Fyoton MEGNIGBETO

Professeur de Lettres




[1] Jean Marie Adiaffi, la carte d’identité, p.108
[2] Guy Ossito Midiohouan, « Politique linguistique et statut du français au Bénin » in Etats généraux de l’enseignement du français, p.43-44
[3] Albert Gandonou, « sur la littérature française, la vérité, rien que la vérité », in Etats généraux de l’enseignement du français, p.95-96


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