L'appel
des esprits de Émile ÉLOMON : Et si l'Afrique refusait le
développement
Colonel
de gendarmerie, Émile Élomon, passionné de Lettres, certainement
pour avoir le même patronyme qu'un autre Élomon, Bertin Barth cette
fois, connu avec le recueil de nouvelles, La chamaille, a
longtemps cherché à mettre en application les théories assimilées
en Russie à l'école des télécommunications où il a appris à
écrire des scenarii pour cinéma. Mais ayant la littérature en
héritage familial, il a fini par choisir le genre qui le plus, se
rapproche du cinéma : le théâtre. Les Éditions Plumes Soleil
ont eu le privilège d'éditer cet ouvrage qui, à maints égards,
conscientise, tellement les tares énormes de l'Afrique y sont
étalées et dénoncées. Mais de quoi s'agit-il en réalité ?
Résumé
de la pièce
Intitulé
l'Appel des Esprits, la pièce de théâtre de 66 pages a
connu une évolution linéaire claire et simple. Gbeffa, Un père au
soir de sa vie, soucieux de sa succession et respectueux de la
tradition, convoque une réunion familiale où il est question de
faire appel par tous les moyens notamment les esprits, à Dossou,
son fils aîné résidant en Europe depuis des décennies, afin que
celui-ci puisse retourner s'installer au pays. Mais cette idée ne
plaît pas à tous les enfants de Gbeffa surtout à Amangbe qui
convoitait le poste de chef de famille après la mort du patriarche.
Gbeffa tient bon et des cérémonies propitiatoires sont faites à
l'endroit de Dossou dont la renommée sur le plan mondial n'est plus
à démontrer, en témoigne une conférence internationale qu'il a
animée devant un parterre de ministres venant de plusieurs pays.
C'est justement grâce à ce talent que le vœux de son père sera
exaucé. Le président d'Ajooka, pays d'origine de Dossou, en
difficulté économique chronique parce que victime de plusieurs
malversations , fait appel à Dossou pour redresser l'économie du
pays en mal. La foudre tombe sur les ministres qui se sentent menacés
par l'arrivée de l'expert Dossou. Celui-ci ne tardera certainement
pas à découvrir les nombreuses situations de mauvaise gouvernance
dont ils sont auteurs. Les malheurs de Dossou loin de se limiter à
la colère de ses frères qui le traitent d'usurpateur s'élargissent
aux ministres de la république. Ils n'ont pas hésité, comme l'ont
déjà fait les frères, à solliciter les services d'un Boconon
pour en finir définitivement avec lui. À ces deux feux s'ajoutent
celui de sa femme, Sophie, européenne restée chez elle avec les
enfants en attendant les vacances. Elle s'amourache d'un sénégalais,
Diouf Chen dont elle porte l'enfant après quatre mois de liaisons.
Elle voulut informer Dossou de sa nouvelle situation matrimoniale.
Mais à peine Dossou finit t-il de lire la lettre de Sophie qu'il
s'évanouit, devenant un obstacle en moins pour les ministres et ses
frères, mais constituant une énorme perte pour son pays avec tant
de valeurs emportées avec lui dans la tombe.
La
structure formelle de L'œuvre
La
pièce L'appel des esprits se présente non pas en Actes comme
les classiques, mais en Appels. L'isosémie constructive amène à
comprendre justement que chaque partie fait un appel. L'appel des
parents de Dossou, l'appel de Dossou à la prise de conscience des
africains, l'appel du président de la république, et enfin le grand
appel de Dossou vers l'au-delà par les Esprits.
Loin
des classiques également toute règle d'unité de temps et
d'action. Les lieux se sont multipliés ; du village Midas à
Adjooka en Europe, en passant par le palais présidentiel, le salon
d'honneur de l'aéroport, les divers domiciles des Boconon etc..., on
ne peut en aucun cas parler de cette règle. Et puis, rien qu'à lire
la lettre de Sophie, on se rend compte que le temps n'est pas unique
parce que dépassant largement les vingt quatre heures
réglementaires.
La
répartition des personnages, largement supérieurs au nombre qu'on
pourrait s'imaginer pour un théâtre qui se veut moderne, se
présente comme suit par Appel et par scène :
Personnages
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Appel 1er
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Appel 2ème
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Appel 3ème
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Appel 4ème
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Appel 5ème
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Total
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1
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2
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3
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1
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2 |
3 |
1
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2
|
3
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1
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2
|
3
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1
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2
|
3
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Père Gbeffa
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4 x
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3x
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7x
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Amangbe
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2x
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4x
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3x
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1x
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10x
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Biowa
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1x
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1x
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Dansy
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1x
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1x
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Les épouses Gbeffa
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|
1x
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1x
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Nonvignon
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|
1x
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1x
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2x
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Hlonon
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1x
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1x
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Ayaba
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|
1x
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|
|
|
1x
|
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2x
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Dossou
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|
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11x
|
2x
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|
8x
|
|
|
3x
|
3x
|
|
|
4x
|
|
31x
|
Sophie
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|
|
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10x
|
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|
8x
|
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18x
|
A. Michouliou
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|
1x
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1x
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Issa Babilar
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|
1x
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1x
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Galyba Siméon
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|
1x
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1X
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Le Président
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1x
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1x
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2x
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Adaka Félix
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1x
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1x
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1x
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3x
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Adjet Amou
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1x
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1x
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Yedassomon
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1x
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1x
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Ekammy C Rodophe
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1x
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1x
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Sigbet Francis
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1x
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1x
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Dadavodoun
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1x
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1x
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Hovivi
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1x
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1x
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Awovi
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1x
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1x
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Ifeidoun
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1x
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1x
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Sodja Louis
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1x
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1x
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Gbetô
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|
3x
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|
3x
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Zékpété
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|
1x
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|
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1x
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Sittha
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5x
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|
5x
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Inspecteur Gutembert
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2x
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|
2x
|
Dossa
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|
1x
|
1x
|
107
répliques au total qui révèlent le rôle principal confié à
Dossou. A lui seul, 31 prises de parole. Les personnages à une
réplique sont nombreux: l'auteur, certainement soucieux de rendre
compte fidèlement de la réalité et animé du désir de projection
et non de représentation a voulu peut-être faire intervenir
plusieurs couches sociales. Ce rôle prépondérant de Dossou montre
cependant combien l'auteur tient, à partir de son exemple à
justifier le sous-développement criard de l'Afrique qui malgré les
ressources minières et surtout humaines de qualité reste encore et
toujours à la traîne.
Le
refus de développement
L'appel
des esprits, dont la fin irrite la plupart des lecteurs surtout
avec la mort du héros Dossou, relève pourtant d'un réalisme
patent. Que de cadres l'Afrique a perdu dans de telles conditions
mystiques ? Que de fatuités n'a -t-on pas servi comme arguments
pour priver un pays d'un éminent technicien de développement ?
Que de projets salvateurs auraient pu voir le jour si, les mains
noires, pour des intérêts particuliers et égoïstes n'avaient pas
tout fait pour mettre fin aux jours de leurs initiateurs?
Certains
cadres agissent comme si après eux ce devait être le déluge. Tout
est alors mis en branle pour constituer un obstacle sérieux au
développement du pays. Dossou, naïf, ne pouvait jamais s'imaginer
que rentrer chez lui avec de bonnes intentions et parce qu'appelé à
la rescousse par le Président de la République lui-même, il allait
se retrouver dans un cercle à trois feux.
Le
cercle des feux
La
pièce s'ouvre sur une famille qui s'attend à passer d'une
génération à une autre puisque, le chef, fatigué, presque
mourant, est décidé à passer la main, mais à la personne
indiquée, avant d'aller rejoindre les aïeux. Sa logique est claire,
la tradition doit être respectée quoi que cela puisse coûter.
C'est dans ces circonstances que le nom de Dossou, envoyé en France
grâce à l'aide d'un religieux, a été évoqué. Aîné de la
famille Gbeffa, il devra en assurer les destinées après le départ
de son père. C'est pourquoi, les mânes des ancêtres ont été
sollicités pour l'« appeler ». Une pratique courante en
Afrique où, le fils exilé, qui manque à la famille, est ramené
presque manu militari, puisque, là, c'est contre sa volonté. Des
subterfuges mystiques sont utilisés et d'une manière ou d'une
autre, « l'enfant » rentre. Mais les conséquences de cet
acte ne sont pas toujours bonnes à raconter. C'est bien normal que
ce retour de Dossou déclenche des hostilités morbides, d'abord du
côté de ses frères, ensuite de celui de ses collègues du
gouvernement.
Les
difficultés de Dossou ont commencé en effet dès lors même que
cette possibilité de son retour a été évoquée. En réalité,
Amangbe, demi-frère cadet de Dossou, n'entend pas respecter les
désirs de son géniteur. Il convoitait depuis longtemps le poste et
l'idée qu'un autre, fût-il son frère aîné, puisse lui ravir la
vedette, le mit dans tous ses états. Il n'a pas hésité à prendre
les propos de Gbeffa pour délires et trouver incongrue la
proposition faite :
« Notre
père est vieux. Il ne sait plus ce qu'il dit. Sinon, comment peut-il
oser dire que c'est à Dossou qu'il passera la main. »
Si
déjà le père subit ce traitement verbal de sa part, on conçoit
aisément que Dossou, resté longtemps loin de lui, ne représentera
pas grand chose à ses yeux et, qu'attenter à sa vie par des forces
occultes ne serait qu'une simple formalité . Et les alibis
deviennent faciles. Des futilités qui conduisent à la consultation
du grand féticheur AYIDAGBA. Morceaux choisis des idioties des
frères et du féticheur:
« Amangbe :
Il revient vingt cinq années après pour prétendre être l'héritier
de la famille Gbeffa. Qui pourra accepter cette injustice? »
Amangbe :
Depuis l'arrivée de Dossou, sa mère ne fait que lorgner ses
coépouses. Elle change trois pagnes dans la journée pour se moquer
de nos mamans. »
Nonvignon :
Notre père qui n'a plus la force pour parler rit à gorge déployée
avec Dossou »
« Ayaba :
Nous ne représentons plus rien aux yeux de notre père »
« Zékpété :
Les sages du couvent ont unanimement retenu qu'un homme qui adopte un
comportement aussi hautain comme vous l'aviez décrit ne mérite que
la mort. »
Dans
un pays sous-développé où le concours de tous, notamment des
bonnes têtes est souhaité pour la conjugaison des efforts en vue
d'un essor certain, aucun motif sérieux n'est encore donné pour
condamner un homme à mort. Mais la mentalité de ces personnages,
loin de relever de la fiction se révèle purement réaliste,
puisqu'elle est identique à celle des peuples africains. Le nombre
de cadres béninois, partis dans ces conditions mystérieuses, rien
que pour avoir voulu bien gérer leur pays est énorme. L'exemple du
ministre Lazare Kpatoukpa reste encore gravé dans les mémoires. Le
cas Akobi est également là et le pays a failli perdre son premier
ministre de la transition en 1990 si une vigilance accrue n'avait pas
été observée. Le nouvelliste Apollinaire AGBAZAHOU dans Adonis
sacrifié, fait d'ailleurs remémorer cette triste période de
notre histoire qui a failli tourner au drame.
Et
c'est ce qu'on n'arrive justement pas à expliquer. En effet, si l'on
comprend que les frères de Dossou parce qu'illettrés, ne mesurent
pas à leur juste valeur les qualités de Dossou, on conçoit mal que
des intellectuels, des commis de la nation, des gens qui ont prêté
serment pour sauver la patrie se mettent eux aussi à calomnier le
pauvre Dossou.
Adaka
Félix, Adjet Amou, Yedassomon Henri, Ekanmy Codjo Rodolphe, n'ont
pas, eux non plus, hésité à faire recours aux forces occultes pour
presque les mêmes motifs. Même l'intervention de leur collège
Sigbet Françis n'a pu rien contre leur furie.
En
réalité, vu les échos positifs de Dossou depuis l'extérieur, le
président d'Adjooka a voulu utiliser ce compatriote pour redresser
l'économie du pays. Ce qui fut fait. Mais c'est oublier que la bonne
gestion du pays ne peut arranger les corrompus qui ont construit leur
fortune énorme à l'ombre des détournements, des prévarications,
de la gabegie, de l'ethnocentrisme et du régionalisme. De
conciliabules en conciliabules, Dadavodoun a été consulté. Le
verdict également est sans appel. Motif, « Dadavodoun :
… c'est grâce à ces ministres d'Adjooka que nous autres nous
avons notre pitance quotidienne. »
Au
non de leur pitance donc, le peuple entier peut croupir de faim,
subir le diktat de ces corrompus aux appétits voraces. C'est
pitoyable ! Beaucoup oublient qu'on n'a pas besoin de ces coups
bas pour réussir et que seul le travail bien fait, valorise l'homme.
Mais c'est bien dommage que cela soit la triste réalité.
Le
troisième feu qui encercle le docteur Dossou est bel et bien celui
de Sophie, présentée comme sa femme. En effet, à peine a-t-il
quitté l'Europe que Sophie s'est mise avec un autre homme, qui plus
est l'un de ses amis de Dossou. Deux mois de séparation et cela a
suffi pour justifier un abandon de domicile. Deux mois de séparation
et une relation plus sérieuse que celle qu'elle a vécue avec
Dossou. Deux mois de séparation et une grossesse, deux divorces
s'en sont suivis. Tout porte à croire que Sophie était bien
l'amante de ce Diouf Tchen au moment où Dossou était là, et que
la paternité des deux enfants qu'ils ont eus en commun peut faire
l'objet de doute.
Cette
lettre, élément déclencheur du coma puis de la mort de Dossou
n'aurait jamais dû lui parvenir. Surtout qu'elle prononce une
rupture brusque et définitive. Comment comprendre que la femme avec
laquelle, des années de vie commune sont vécues, avec qui on a eu
des enfants, puisse se lever un matin et décider de mettre une
croix sur tout ? C'est douloureux et l'infarctus de Dossou est
justifié car comme l'ont dit les personnages présents à cette
crise, « l'amour.... ça peut tuer ».
D'un
autre côté, nous n'avons pas à perdre de vue les deux premiers
feux qui auraient bien pu être un élément instigateur de cette
lettre. C'est vrai(qu'elle me pardonne) que la femme est un être
compliqué avec des actes assassins, Isaï Biton Coulibaly m'en est
témoin. Mais ici, il y a de nombreux précédents qui concourent à
croire que même si Sophie a écrit cette lettre, elle n'était pas
en possession d'elle même. En réalité, les deux voudounons
consultés par les frères et les ministres, ont dû agir
efficacement. « La guerre des choses dans l'ombre » comme
le dirait Gaston Zossou, l'invisible comme l'appellerait le
professeur Kpogodo a eu raison de Dossou. Cette condamnation à
l'instar de celle de Jésus devant Ponce Pilate, « oui qu'il
meure», n' a pas certainement été anodine. Ainsi, ou les
forces du mal ont pris possession de Sophie pour lui faire écrire la
lettre, ou carrément alors, elle n'a écrit aucune lettre. En effet,
puisque la trame ne nous montre pas Sophie en train de rédiger cette
lettre, le doute peut être permis sur la provenance réelle de cette
lettre. Est-elle une réalité ou un mystère ? Tout montre que
Sophie n'a été qu'un instrument aux mains des ennemis de Dossou.
Puisque, certainement, les assauts précédents n'ont pas réussi, il
fallait prendre par là pour l'atteindre directement.
Il
y a également une réalité socio-anthropologique que cette mort
révèle. Les appels dans ces circonstances ont, aux dires de
certaines sources orales, toujours des conséquences néfastes sur
l'appelé. C'est presque comme tout médicament qu'on utilise.
Puisqu'il n'est pas venu de lui-même, il y a des effets secondaires
qui agissent. Des exemples sont connus où l'individu tombe dans les
travers de l'alcool, perd la raison, où se retrouve en prison. S'il
est donc vrai que la pratique peut ramener à coup sûr le fils
exilé, il n'en demeure pas moins évident que s'en suivent toujours
des dégâts collatéraux. Ainsi, loin d'apporter de la plus value à
l'économie et participer au bonheur de la famille et du pays,
« l'appel » , pratique usuelle de certaines régions du
Bénin tourne pour la plupart du temps au vinaigre et conduit à une
énorme perte.
Ce
qui arrière également l'économie des pays africains, se trouve
dans cette pièce être la mauvaise gouvernance.
Une
gestion approximative
La
raison officielle du retour de Dossou, c'est bien les difficultés de
trésorerie que connaît le pays Adjooka. Le constat du président
est sans ambiguïté : « Vous savez avec moi que les
finances s'amenuisent de jour en jour dans le pays. Plusieurs
entreprises ont fermé leur porte en augmentant le nombre de chômeurs
déjà inquiétant. Plusieurs mois de salaires impayés. Les grèves,
les sit-in, les marches des travailleurs deviennent le quotidien du
citoyen d'Adjooka. Plusieurs ménages se sont éclatés du fait de
cette crise... »
On
n'est pas loin de la situation économique catastrophique présentée
par les « rameurs »dans Dieu cet apprenti-sorcier
de Kakpo Mahougnon. En effet, Sokpozin et Atchuta lorsqu'ils étaient
chez Adjakpa, la lettre envoyée contient les germes, de la
récession, due notamment à « lui » qu'il n'ont pas pu
nommer. Mais si ici, les jeunes proclament l'inutilité des
dirigeants en les indexant comme responsables, ce n'est pas le cas
dans L'appel des esprits où c'est le président lui-même
qui reconnaît la crise mais en attribue la responsabilité à des
collaborateurs qui, même s'ils en sont pour beaucoup, n'ont pas pu
agir sans son aval. Comment comprendre que des dizaines d'années
durant, il (le président) a pu gérer le pays sans se soucier de ce
que faisaient ses collaborateurs. Ont-ils pu avoir la possibilité de
faire tout cela seuls ou n'ont -ils pas eu quelque part la complicité
de leur chef ? Quel chef laisse perdurer une mauvaise situation
alors qu'il est conscient du danger que court ainsi son peuple ?
Va -t-il arguer que tous les cadres ont les mêmes mentalités et
qu'il n'y en a pas qui ne puissent agir sans la délation, la
corruption, le népotisme ? C'est parce qu'un chef fait
confiance à un homme qu'il le nomme à un poste de responsabilité.
Et de la même manière qu'il est nommé, cet individu , à tout
moment doit savoir qu'il peut être démis pour une raison ou pour
une autre. En réalité, le problème de l'Afrique se situe en grande
partie à ce niveau où le pouvoir est assimilé à quelque chose
d'éternel. Rien ne doit venir l'arracher. Le président, lorsqu'il
constate les dérives de ses conseillers, fossoyeurs de l'économie
du pays, il devrait savoir que l'objectif pour lequel il est élu,
c'est-à-dire, la satisfaction des besoins fondamentaux de tous ses
citoyens n'est pas assurée. Alors il n'avait pas à s'en prendre à
eux, il doit pouvoir démissionner.
D'un
autre côté, les ministres et collaborateurs immédiats, loin de
s'accaparer de la richesse du pays tout le temps devraient savoir
qu'une fonction politique n'est pas un métier mais un travail
temporaire. « Prépare -toi une belle sortie si tu
t'engages, et penses-y toujours comme si à chaque instant, elle
était imminente... » a
semblé dire un personnage de l'ex-père
de la nation d'Aminata
FALL, en guise de conseil à un présidentiable. Je pense que c'est
valable pour tout poste politique. Mais ils ont fait près de
quinze ans à servir un gouvernement, pratiquement trois mandats en
Europe et quatre aux États-Unis. Justement combien de ministres
a-t-on vus dans ces pays-là servir trois ,quatre gouvernements de
suite. L'organisme humain a un seuil de fatigabilité et lorsque
réellement on sert son pays avec la force physique et intellectuelle
qu'il faut, je pense qu'après quatorze ans, on ne tient pas pareil
discours . Le chroniqueur Ben Bechir, semble bien voir lorsqu'il
affirme : « s'il
bonifie le bon vin, le temps qui passe use et corrompt les hommes ou
femmes de pouvoir qui l'exercent longtemps. »
Ainsi, s'en prendre à Dossou
parce qu'il serait venu arracher un prétendu biberon de leur bouche
est une grave erreur qu'ils ont commise.
L'auteur, s'il n'avait pas voulu
rester réaliste aurait pu faire tuer ceux-là à la place de Dossou
ou tout simplement faire échouer leur plan diabolique. Mais c'est la
triste réalité. On n'y peut malheureusement rien. Le théâtre
repose sur le principe, castigat ridendo mores, corriger les mœurs
en les ridiculisant. En parler, c'est attirer l'attention, il suffit
que cela obtienne une large diffusion. Beaucoup d'intellectuels qui
s'adonnent à cette pratique pourront peut-être à force de lire ces
pièces prendre conscience du danger qu'ils font courir à leur pays,
à leur continent.
L'Afrique à force d'user de ses
pouvoirs mystiques pour nuire à ses propres fils, devrait plutôt
mûrir ceux -ci afin de les mettre au service de l'humanité.
L'invisible qu'ils ont réussi à dompter peut contribuer forcément
à développer et non sous-développer. Il suffit peut-être
seulement de les rendre positifs. Comment comprendre que des gens
soient en mesure de communiquer à des distances infinies,
« appeler » Dossou de l'Europe par exemple depuis Adjooka
sans téléphone portable, sans ligne fixe ? C'est une science
qui pouvait être domptée, labellisée et rendue commerciale comme
toutes les TIC, dont l'Occident et l'Asie se font maîtres. Nous
n'offrons rien sur ce plan, alors que les domaines à explorer sont
vastes et novateurs. Des scènes d'action fantastiques ne manquent
pas dans la littérature, rien qu'à interroger, Houénou Kowanou,
Gaston Zossou, on comprend, même si c'est de la fiction, que
l'Afrique détient une science inexplorée qu'elle conserve de façon
égoïste, où ne peuvent avoir accès que quelques privilégiés
initiés. Il est vrai que même en Europe il y a des cercles fermés
et que le Brevet d'invention n'est pas une innovation africaine. Mais
l'histoire a montré que ce qui a contribué aux Lumières du
XVIIIème français, c'est surtout le développement des idées où
les expériences sont partagées. Ce qui a permis à Diderot par
ailleurs de créer l'encyclopédie à cet effet. Cette ouverture est
à l'origine notamment d' expériences inouïes et les créateurs
d'idées n'ont pas été pour autant rangés dans l'histoire. Des
produits existent, qui sont mis au service des peuples pour leur
bonheur. La révolution industrielle et technologique n'aurait pas
avoir lieu sans cette éclosion de la parole.
Mais ici, la parole est
« embrigadée » par quelques-uns qui en font un usage pas
public, mais privé. Des tentatives de révélation de la science
cachée ont commencé certes avec Kakpo Mahougnon, Basile Adjou
Moumouni, mais beaucoup de barrières restent à briser pour
qu'enfin, le savoir africain cesse de rester à l'étape embryonnaire
pour parvenir à un stade supérieur : celui du partage et de la
transformation.
C'est difficile mais l'Afrique,
pour son éclosion doit pouvoir passer par là. Il en va de son
bonheur et de son honneur.
En révélant l'histoire de
Dossou que l'on peut confondre à beaucoup de cadres, le colonel
dramaturge a inauguré un grand débat que, dans plusieurs pays
africains, l'on doit mener pour faire prendre conscience de la voie
erronée sur laquelle nous sommes.
Mais avec quel style ce livre
est-il présenté au public ?
Le
style
Le
style d'Émile Elomon, loin d'être réservé à un public élitiste
est accessible à tout public. Seulement, étant Colonel de la
Gendarmerie, on pourrait s'attendre à lire dans les pièces, des
répliques où d'ancien combattant, dans un jargon purement militaire
ou à l'instar du personnage de La secrétaire particulière
de Jean Pliya, débiterait un langage purement circonstanciel.
Hélas ! Le lecteur restera sur sa faim et se contera d'un seul
passage : « SODJA LOUIS (ancien
combattant)
Dans
sa tenue kaki, plusieurs médailles sur la poitrine, il a porté son
képi avec son galon en « V » rouge) : Zenfants de
Midas, mindam minsié ! Sé glan zou pou lé village aujoudi.
Note nenfant Dossou est dé rétou. Il a étidié à daka et à
maseille. Oui Jé connais là bas chez toubabou où j’ai fait guê
mondia 1945. Matricui 2024 tilayê sinigalê. J’ai tié beaucoup
énémis. Et note nenfant Dossou a coulage pou étidié jusqu’à il
a beaucoup diplômes commou toubabou. IL faut aclamê lui. (Les
applaudissements). Jé démandé à tous lé zenfants de Midas dé
prendi exampe sui lui. Si lui n’a pas coulage, lui né pé pas
vivle lé floi et la glace paltou dans Maseille. Jé zui tlè content
dé Dossou. Il faut encore acclamê lui. (Des applaudissements) Jé
vous minci. »
La
formation cinématographique reçue par l'auteur (voir la quatrième
de couverture) a certainement agi sur l'écriture de cette pièce où
on assiste à l'instar de la pièce Le lion et la perle
de Wole Soyinka à de longues didascalies. Le nombre impressionnant
de personnages comme dans Les bouts de bois de Dieu de Sembene
Ousmane fait constater aussi cette influence sur le dramaturge. Les
couleurs locales apparaissent également dans la pièce avec la
description détaillée des temples du Vodoun Aido Houedo et des deux
féticheurs, Dadavodoun et Zékpété, et qui font la particularité
de ce style. Enfin, plusieurs proverbes sillonnent la pièce qui la
rendent très riche en images :
« Le
chien ne s'oppose jamais à l'appel de son maître » P13
« certains
ne seront pas en train de s'échiner à labourer sous le soleil pour
que d'autres en jouissent à l'ombre d'un arbre » P16
« Si
vous voyez un caméléon presser les pas, sachez qu'un danger est
imminent » p36
« Entre
celui qui est sur une braise et celui qui marche dans une rivière,
la sensation ne peut être la même. P 40
« l'ombre
d'un grand arbre n'est point la propriété privée de son planteur »
Il
y a également des paroles imprécatoires lancées à l'encontre de
Dossou :
«
DADAVODOUN :
(Il saisit un poulet, le tend vers les quatre points cardinaux,
il le montre au ciel en prononçant des paroles incompréhensibles.
Le silence s’installe autour de lui. Il s’adresse au ciel).
Oui Dossou ! Tu t’appelles Dossou ! Ton nom est
Dossou ! Tu sais bien que la chair du vautour n’est pas
comestible et tu veux la manger quand même ? Tu sais que la
tête d’un chat mort ne saurait servir de jouet à une souris ?
Connais-tu le nom du ciel et de la terre en sanscrit ( nougni) ?
Quel courage et quelle audace te poussent dans cette aventure sans
lendemain? Il m’a été rapporté par le collectif des
ministres d’Ajooka que tu es mandaté par le Président pour les
limoger et les mettre en prison. Ton commanditaire le président et
toi répondrez devant les mânes de mes ancêtres de votre
méchanceté. C’est grâce à ces ministres que nous autres nous
avons notre pitance quotidienne. Dossou as-tu pensé à tout ce monde
que nourrit un ministre d’Ajooka ? Sais-tu qu'en les
limogeant, tu nous prives de nourriture ? Sans ces ministres
amis, que deviendrons-nous ? Dossou, as-tu pensé à tous ces
détails ? As-tu jamais entendu une poule chanter, Dossou ?
A première vue tu me fais pitié, mais en fin de compte tu me montes
les nerfs. Jamais nous ne te laisserons réaliser ta sale besogne !
Dossou héélou ! Dossou héélou ! Dossou héélou !
(S’adressant aux autres sorciers)
Chers
amis nous répéterons ce rituel tous les vendredis jusqu’à
l’assaut final.
(Ils
se sont mis à se servir du vin et à manger. Le rideau tombe) »
L'onomastique
Ce
style fortement ancré dans la culture béninoise s'explique
notamment par l'option faite par l'auteur de véhiculer à travers
cette pièce une connaissance assez nette de son origine.
L'onomastique est ici un signal très fort de ce choix. En effet
pratiquement tous les personnages ont un rôle, une psychologie qui
correspondent nettement à leur nom.
Le
personnage principal Dossou a pour petit nom Dagbégnon. Cela
témoigne une fois encore du réalisme de l'auteur. Pour lui, Dossou
est certainement un martyr. Un héros incarnant tous les rêves
brisés de l'Afrique. Il est mort certes, mais c'est une mort utile
pour une prise de conscience. Dagbegnon est composé de « dagbe »
le bien et « gnon » bon. C'est une magnificence du bien
pour inciter toujours à bien agir sans se soucier des médisances.
Le bien doit pouvoir triompher du mal car, dans le cas contraire,
aucun espoir ne serait permis pour un développement.
Amangbe,
frère de Dossou a certainement ce nom pour son esprit de nuisance.
« aman »la feuille , « gbe » la parole
désigne en effet, l'imprécation, la parole pour nuire. Il n'est
apparu dans la pièce que pour faire du mal. C'est un personnage brut
que le manque d'éducation scolaire a aveuglé. Il se contente d'une
vérité qui est la sienne et rien d'autre. C'est normal qu'il trouve
que son frère « holonon » alors qu'il est le plus
logique parmi eux tous, a été bien nommé. Nonvignon, demi-frère
de Dossou est frère germain d'Amangbe, « Nonvi » frère
« gnon » est bon, désigne toute la joie d'appartenir à
une fratrie où tous se soutiennent. Il est très fidèle à
Amangbe.
Adaka
Félix porte bien son nom. « Adaka » désigne en effet le
mal, tout simplement. Que ce personnage soit l'instigateur du complot
contre Dossou ne doit donc pas étonner. Edassomon se retrouve aussi
pleinement dans son rôle lorsqu'il l'accompagne dans ses idées
sordides, puisque, littéralement il est si mauvais.
Dadavodoun
et zékpété portent également des noms de sorciers qui indiquent
clairement la mission à eux confiée. Des noms de sorciers qu'ici,
nous ne saurions décrypter. Les deux journalistes Hoovivi et Awovi
ne sont pas du reste dans cette onomastique calquée sur la culture
de l'auteur. En réalité, ils incarnent l'impression que l'on a de
l'homme exerçant ce métier. Hoo la parole, « vivi »,
mielleuse, le volubile désigne bien cet être qui ne tait sur aucun
sujet car étant comme l'écrivain, un éveilleur de conscience.
C'est à juste titre qu'ils ne soient pas aimés de l'homme politique
qui n'agit pas toujours de façon catholique. Awovi Jean, le danger
lui-même vient confirmer cette crainte que l'on a du journaliste.
Sodja est une déformation du mot français « Soldat » en
langue « gbe » du sud Bénin. Sodja Louis, le seul ancien
combattant porte donc un nom à propos.
Sophie
a pour patronyme Lapierre. C'est peut-être elle qui constitue la
pierre, la grosse contre laquelle s'est cognée la tête de Dossou,
enfermé dans deux feux par des mafieux.
Le
nom qui au-delà de tout, indique clairement l'intention de l'auteur
est bien celui du pays d'origine de Dossou, Adjooka, « Adjo »
le vol, « ka » calebasse, désigne en effet ce lieu où
le vol est la règle, et l'intégrité, l'exception. Que tous ces
maux soient monnaie courante et que des ministres soient capables de
tuer un être qui vient à la rescousse du pays, on comprend donc que
l'auteur ait choisi cette dénomination afin d'indiquer clairement au
lecteur à quoi il doit s'attendre.
Au
total, l'incursion d'Elomon dans le monde littéraire est totalement
réussie, pour la thématique abordée et le réalisme de la trame
narrative. Une trame narrative qui mérite peut-être d'être encore
d'être mieux arrangée pour un théâtre plus moderne, exportable
jouable dans n'importe quelle salle.
Anicet
Fyoton MEGNIGBETO
Professeur
de Lettres
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