COMPRENDRE LES TEXTES PAR LEUR STRUCTURE THEMATIQUE
Par Anicet Fyoton MEGNIGBETO,
Écrit et publié le 18 juillet 2012 dans le quotidien Nassiara
Paradoxe. Réaction presque unanime de ceux qui découvrent ce premier chef-d'œuvre de Bernardin Kpogodo quand on sait que celui-ci, Maître de Conférences à l'Université d'Abomey-Calavi est spécialiste de littérature française. Que fait-il alors avec des contes africains ?
On oublie dans le même temps le caractère universel de la littérature qui, ici ou ailleurs présente les mêmes caractéristiques. On fait fi surtout du titre de l'auteur qui lui donne la possibilité d'interroger tout, de parler de tout.
Morphologie et fonctionnalité du conte africain, paru aux éditions Plumes Soleil en novembre 2011, est un essai littéraire sur le conte africain. Une tentative de démonstration cartésienne sur le caractère commun des contes quelle que soit leur origine.
Les dix contes présentés sont en effet un échantillon d'un ensemble de contes, béninois, togolais, nigérians, ghanéens, que l'auteur a recueillis. Une véritable recherche qui l'a conduit à travers ces pays afin d'offrir au public un cocktail de textes attrayants, ce que l'Afrique a de potables en matière de contes croustillants.
Loin d'être un simple recueil de contes, l'ouvrage est un réservoir de méthodologies, d'approches de compréhension des textes, utiles non seulement pour les élèves au secondaire, mais aussi et surtout pour les étudiants de Lettres Modernes qui culbutent souvent sur les Unités de Valeur (UV) de Bernardin Kpogodo.
Algirdas Julien Greimas et Vladimir Propp ont été mis à contribution afin de peaufiner une technique susceptible de disséquer aisément les textes.
Mais avant de nous intéresser à cette méthode d'analyse, nous présenterons d'abord l'œuvre dans son contenu formel.
I- Structure formelle de l'œuvre
1- Le paratexte
L'ouvrage est constitué d'un paratexte riche de trois textes :
Une dédicace adressée à deux personnes importantes dans la vie de l'auteur, son épouse et son géniteur
Un avant-propos, qui précise le cadre pédagogico-littéraire dans lequel l'auteur voudrait inscrire son ouvrage.
Une bibliographie tripartite organisée selon l'ordre alphabétique des auteurs.
Un ensemble d'écrits donc qui habillent l'ouvrage et qui lui servent de garde-fous.
2-Le corps de l'œuvre
L'œuvre proprement dite est constituée de dix contes auxquels est appliquée une technique d'analyse intéressante.
Le premier intitulé « Les cordes », raconte l'histoire d'un cordier et de sa femme qui, dépassée par la misère extrême qu'elle vit décide de le quitter. Mais elle va mal finir, se retrouvant dans son propre piège, dans la « gueule » d'un boa. De punition par un boa pour mauvaise conduite, il en est également question dans le sixième conte, « Le mariage ». Une jeune fille, orgueilleuse à l'extrême qui, attendant le prince charmant aux caractéristiques irréalistes et rejetant toute avance de prétendants, s'est retrouvée dans la même situation que cette femme matérialiste. « Le manioc », dernier conte, s'inscrit dans cette même logique punitive de femmes malhonnêtes. La marâtre qui maltraitait l'orpheline et sa fille vont subir les conséquence fâcheuses de leur acte avec un mal au remède inexistante. Dans « Une calebasse, une cravache », neuvième conte de l'ouvrage, c'est de punition qu'il est encore question. Il est présenté un village rongé par la famine où chacun se débrouillait pour nourrir sa famille. A la découverte mystérieuse du père araignée, une grande calebasse qui se remplit automatiquement de nourriture, se succéda la volonté farouche du roi de s'en accaparer. Mais pire qu'une calebasse, c'est une cravache punitive qu'on lui a servie.
« Le vol » est le troisième conte qui démontre à partir de la conception africaine de l'ordre divin qu'aucun acte n'est gratuit. A l'instar de la Bible, sur au moins sept générations, un homme peut être rattrapé par un bon ou un mauvais geste de la part de son aïeul. Aucun bienfait n'est jamais perdu. Cette maxime s'est avérée dans le « Le fantôme » qui narre l'histoire de l'orphelin récompensé par un mort dont le cadavre subissait la foudre d'un malabar à qui il devait de son vivant 2F. Le remboursement de cette somme lui a valu l'assistante permanente de celui-ci jusqu'à la réussite de son mariage avec la princesse sorcière qui tuait tous ses époux lors de la nuit de noces.
Le deuxième conte « La Meule », présente le lièvre et l'araignée et met l'accent sur la nécessité de ne partager son secret avec personne même son ami intime. Les deux personnages se retrouvent encore dans une histoire de trahison au niveau du cinquième conte , « Les trois princesses ». L'araignée que le lièvre avait trahie en lui dérobant les trois princesses pour lesquelles elle, la première, a pu percer l'énigme du roi pour les mériter a été sévèrement punie en perdant d'un seul trait les princesses. De trahison, il s'est agi dans « L'habit » huitième récit du document où la confiance aveugle en l'homme quel qu'il soit est déconseillé. Un chasseur l'a appris à ses dépens en révélant à sa première épouse la nature-panthère de la deuxième et à la deuxième presque toutes les techniques de défense dont il dispose pour sortir vivant d'une attaque de fauves.
Le conte numéro sept « Le coupeur de bourse » démontre que quel que soit le métier que l'on décide d'exercer, il le faut faire avec abnégation et conviction. Le coupeur de bourse, a tellement excellé dans ses stratégies de vol que le roi finit par le récompenser d'une centaine de femmes.
Au total, les dix contes dans leur majorité invitent à rester prudent, ne jamais faire confiance à personne, qu'il soit ami ou qu'elle soit épouse. Ils dénoncent donc la trahison, l'injustice et encouragent la fidélité à la parole, la confiance en soi et en ce que l'on fait... Messages décryptés par l'auteur en suivant une méthodologie bien indiquée.
II-Contenus méthodologiques
Ces contes, et c'est ce qui fait l'importance de l'ouvrage, ne sont pas seulement mis dans le document. Ils sont suivis d'un appareillage pédagogico-littéraire qui a tenté de les dépouiller afin de rendre leur contenu surtout inversé clair aux yeux du lecteur profane. C'est ainsi que nous avons d'un côté, l'étude morphologique et de l'autre celle fonctionnelle.
1- La morphologie
Prenant appui sur la formule de Vladimir Propp, qui stipule dans sa Morphologie du conte à la page 112 que : « lorsqu'on analyse un texte, il faut d'abord déterminer de combien de séquences il se compose », le Professeur Kpogodo a fait un découpage méticuleux en séquences des dix contes qu'il a intitulés ; la séquence étant définie dans le même ouvrage par le critique russe comme chaque nouveau méfait ou préjudice, chaque nouveau manque.
Ainsi, « Les cordes » et « Le manioc » sont découpés chacun en quatre séquences.
« La meule », « Les trois princesses », « L'habit » « Une calebasse, une cravache » en trois séquences.
« Le fantôme » et « Le coupeur de bourse » en 5 séquences
« Le vol »en deux séquences et
« Le mariage » en une séquence.
C'est à partir de ces mouvements des textes que leur analyse est rendue aisée.
2-La fonctionnalité
Bernardin Kpogodo inscrit l'analyse des contes dans le cadre de la détermination par Vladimir Propp des 31 fonctions de la Morphologie du conte réduites plus tard par Algirdas Greimas. En effet, rejetant d'un bloc la proposition de Propp qu'il trouve encombrante, Greimas envisage trois grandes étapes dans l'évolution de la structure narrative du conte. D'abord le héros établit ou rompt un contrat (syntagmes contractuels), il subit ensuite l'épreuve (syntagmes performanciels) et enfin part en aventure puis revient (syntagmes disjonctionnels).
C'est à partir donc de ce schéma de Greimas que vont être proposés des tableaux récapitulatifs, retraçant le contenu narratif des contes selon les séquences et les fonctions des actants.
L'étude fonctionnelle des dix contes repose ainsi sur cette technique rigoureuse rendue aisée par les mouvements qu'imposent les différentes étapes des récits.
La technique y voit la touche du maître avec l'abondante référence à la littérature française et à l'oralité africaine. Gustave Flaubert, Jean Racine, Pierre Corneille...mais aussi des sources orales africaines seront utilisés comme des arguments d'autorité pour fouiller les textes de fond en comble afin d'en sortir ce qu'ils ont de caché ; leur contenu inversé.
La découverte de la structure thématique d'un texte est donc possible à travers les mouvements de celui-ci, mouvements reconnus à partir de l'évolution du contenu narratif de celui-ci et l'exploitation littéraire que l'on fait de ces mouvements. Il ne s'agit pas de rapporter le récit du texte pour prétendre l'exploiter. Il faudra surtout s'intéresser aux idées véhiculées par les faits que celui-ci expose.
Le Professeur Kpogodo démystifie donc les techniques d'analyse du texte, qu'il s'agisse d'un commentaire ou d'autres procédés. Tout élève, tout étudiant, cet outil pédagogique en main, est susceptible de passer avec aisance ses devoirs ou examens, car la technique reste facile et universelle, ne s'arrêtant pas uniquement au texte littéraire.
Il est donc impérieux de disposer dans sa bibliothèque Morphologie et fonctionnalité du conte africain qui constitue une première à maints égards.
Anicet Fyoton MEGNIGBETO
18 juillet 2012
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