LE PIMENT DES PLUS BEAUX JOURS DE JEROME NOUHOUAI : UN MONDE DICHOTOMIQUE OU NAGENT AMOUR ET HAINE
La littérature béninoise découvre à l’orée de cette deuxième
décennie du millénaire, un jeune écrivain généreux dans l’écriture, prolixe
dans l’imagination. Un talent exceptionnel puisque le réalisme de Flaubert et
le don descriptif d’Honoré de Balzac se mélangent et créent une osmose
parfaite. Le public littéraire littéraire peut se réjouir d’accueillir Jérôme
Nouhouai puisque c’est de lui qu’il s’agit, car Florent Couao-Zotti a d’ores et
déjà un dauphin dans l’art de réussir les polars dans un cadre spatio temporel
typiquement béninois. Le monde universitaire aussi. Avec deux romans publiés la
même année (2010) en effet, Jérôme Nouhouai a battu bien des records. La Mort du lendemain et Le piment des plus beaux jours sont ces
chefs d’œuvre dont tout critique littéraire se réjouit.
Cette étude s’est choisie pour objectif de parler de la première
publication Le piment des plus beaux
jours, offerte par le Serpent à Plumes.
1-
RESUME DE L’ŒUVRE
Il est très difficile voire compliqué de faire le résumé
linéaire de ce roman, tant l’histoire de chaque personnage est unique. Le seul
point commun entre eux, c’est que, d’une manière ou d’une autre, chacun a un
lien avec Nelson Kangni, le narrateur du roman.
Installé dans Abomey- Calavi, un cadre rustique, une ville
périphérique de Cotonou, capitale économique du Bénin, l’histoire de ce roman
est racontée par Nelson Kangni, un étudiant en 2ème année de Droit
qui vit en collocation avec deux de ses amis. Jojo et Malcom alias Malko. Une
vie tumultueuse à trois où tout est partagé sauf les idées de Malko, l’intello.
Les vacances de trois mois après la première session sur le
campus sont le prétexte idéal offert à Nelson pour narrer une vie mouvementée
où amour, haine, crime, sexe, prostitution et argent se mélangent. Nelson, lui,
n’avait d’yeux que pour Josiane, une étudiante à l’ENAM, fille d’un ancien
ministre de la République et député,
Maximo Assaba. La relation entre eux n’avait même pas commencé qu’elle
prit fin. En effet, d’une part, Josiane était surveillée par des cerbères de
son père qui voulait mieux pour sa fille et de l’autre, il y a Nelson lui-même
qui, dans l’incapacité d’assouvir toute sa soif de Josiane se défoulait sur
Nicole, une prostituée qui, frigide au départ pour avoir été violée, a retrouvé
sa joie grâce au bon soin de Nelson. Mais mal lui en a pris car, par malheur
pour lui, alors que Josiane était venue s’offrir à lui, elle le surprit avec
Nicole après une partie de jambes en l’air. Elle dut se rabattre successivement
sur deux Libanais dont le premier a essuyé la fougue de Nelson, jaloux et
frustré.
Malko dont la sœur a été tuée par un Libanais, n’a jamais cessé
de ruminer sa colère contre eux. Sa haine s’est même transformée en un
militantisme engagé qui l’a conduit à rentrer dans une nébuleuse « Le
calice noir ». D’agression physique de libanais ou d’indo-pakistanais, ils
sont passés à des incendies de boutiques, des braquages et même à des attentats
à la bombe. Les soupçons de Nelson à propos de l’implication de Malko se
confirmèrent lorsqu’il le vit lui-même
en action à Maro militaire. La longue enquête policière et
militaire a fini par aboutir et Malko
fut assassiné dans des conditions très peu élucidées. Car il avait réussi à se déguiser en femme et prenait la fuite.
Jojo lui, ne jure que par
Cupidon. Il est maître dans ce que le narrateur lui-même a appelé
grossièrement bien sûr, T T T , Tout Trou est Trou. Phina la voisine et
domestique des da Silva, une vieille touriste italienne, Ingrid l’allemande,
Sophie l’inconnue et même Nicole ont toutes pris par là. Tout a réussi à Jojo, les
femmes et surtout les études pour lesquelles il gagne à la loterie visa pour se
rendre aux Etats-Unis. Même la malédiction de Phina dont il rejeta la grossesse
n’aura eu aucun effet sur lui.
Enfin , Juju, alias Justin devenu colocataire circonstanciel
après le départ de Malko pour ses activités mafieuses s’est vu renvoyé de la
maison pour avoir mis enceinte une jeune élève de 3ème. Fils d’un
ancien ministre de la période révolutionnaire, il a pourtant eu du mal à
bénéficier du soutien, non seulement de ses parents propres, mais et aussi de
sa belle famille.
Nelson, Jojo, Malcom,
Justin sont ainsi les principaux personnages, tous étudiants autour desquels
est conçue cette histoire palpitante à couper le souffle. Une histoire dont
presque tout paraît réel parce qu’existant.
2-
UN ROMAN REALISTE.
Apparu dans la
deuxième moitié du XIXème siècle français, le courant littéraire réaliste est
né pour contrer les envolées lyriques, illusionnistes sur le bord, du
romantisme. Il est surtout marqué par Honoré de Balzac à travers Le père Goriot, Stendhal dans Le rouge et le noir, qui ont pris la
société réelle comme cadre d’action.
« La maison où s'exploite la pension bourgeoise appartient à Mme
Vauquer. Elle est située dans le bas de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, à l'endroit où le terrain
s'abaisse vers la rue de l'Arbalète par une pente si brusque et si rude que les chevaux la montent
ou la descendent rarement. [..] . Nul quartier de Paris n'est plus horrible, ni, disons-le,
plus inconnu. »
Honoré de Balzac, Le père goriot, Librairie générale
française, Paris,1961, pp.19-20
« Mme de Rênal regardait les grosses larmes, qui s'étaient
arrêtées sur les joues si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune
paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d'une jeune
fille »
Stendhal, Le Rouge et le noir - Début du chapitre
6 -
Mais c’est
notamment avec Gustave Flaubert que le terme sera le plus connu. En effet, le souci du réalisme était si
patent chez lui que pour narrer l’empoisonnement d’Emma dans Madame Bovary, il dut lire toute une
documentation sur la médecine.
«
Puis elle se mit à geindre, faiblement d'abord. Un grand
frisson lui secouait les épaules, et elle devenait plus pâle que le drap où
s'enfonçaient ses doigts crispés. Son
pouls inégal était presque insensible maintenant. Des gouttes suintaient sur sa
figure bleuâtre, qui semblait comme figée dans l'exhalaison d'une vapeur métallique. Ses dents claquaient, ses yeux
agrandis regardaient vaguement autour d'elle, et à toutes les questions elle ne
répondait qu'en hochant la tête ; même elle sourit
deux ou trois fois. Peu à pu, ses gémissements furent plus forts. Un hurlement sourd lui échappa…
Gustave
Flaubert, Madame Bovary,
Ce mouvement
littéraire a donc pour principe fondamental de présenter l’homme dans ses réalités
quotidiennes : son cadre de vie, son vécu...
Jérôme Nouhouai
n’étant pas du XIXème siècle français, son œuvre ne s’inscrira pas dans le
courant littéraire réaliste, mais dans le registre littéraire inspiré de
celui-ci et qu’empruntent certains auteurs
soucieux de partager avec leur public l’univers dans lequel ils vivent.
Jérôme Nouhouai
n’est pas le premier Béninois à prendre le cadre de chez lui comme espace romanesque.
Florent Couao-Zotti, notamment dans Les
fantômes du Brésil, où la ville historique de Ouidah est revisitée de fond
en comble, Si la cour du mouton est sale,
ce n’est pas au porc de le dire, où allègrement, le lecteur est promené de
Cotonou à Pahou en passant par Godomey… et Edgar Okiki Zinsou dans la nouvelle
« la femme du mari inconnu » in La
femme du mari inconnu, avec toujours Godomey, Cotonou, comme cadres
d’action, l’ont précédé.
Seulement, chez
Nouhouai, il y a cette petite particularité qui installe le cadre dans un
univers estudiantin. De futurs cadres d’un pays qui, faute de moyens, durent se
réunir à trois, non pas à Zogbadjè où ils auraient pu être proches du campus,
mais à Calavi, à quelques kilomètres. Le réalisme de Nouhouai, dans ce roman
commence donc par l’espace. Un espace ouvert, présenté par un narrateur
homodiégétique qui conduit les personnages de calavi, la ville dortoir,
précisément à Zoka d’abord vers le campus puis vers Cotonou où Akpakpa,
Dantokpa, Maro-militaire, Zongo, Jonquet, Haie-vive, Saint Michel, Missèbo,
Ganhi, Aidjèdo, et Zogbo seront passés en revue.
Non seulement
ces quartiers sont réels, mais surtout les lieux qui y sont indiqués, même
s’ils sont fictionnels s’approchent eux aussi de la réalité. ‘’Chez Max’’ à
Jonquet par exemple, n’est pas loin de ‘’Chez Alex’’ dans ce même quartier. De
même, la boutique ‘’Beauté légère’’ se trouve être la photocopie conforme de
‘’Beauté ronde’’ sur l’esplanade du terrain de Kouhounou. Tounde Motors a
carrément même été évoqué.
L’évocation des
villes telles que Porto-Novo, Ouidah, Parakou, Malanville, ou Tchoumi-Tchoumi,
et surtout la célébration du 1er août 1960 comme fête
d’indépendance, installent définitivement l’histoire dans un espace béninois
avéré. C’est pour cela que la présence des chaînes de télévision-LC2, GOLF TV,
ORTB … n’apparait plus surprenante.
L’onomastique
est également d’inspiration béninoise. En effet, tous les personnages,
compatriotes du narrateur et lui-même
Nelson Kangni portent des noms à résonnance du Sud Bénin. Ce nom
« Kangni », d’ailleurs, est le
même que celui d’un dramaturge togolais, Alem Kangni. Malcom Kossou, Justin Kêkê,
Maximo Assaba, Josiane Assaba, Adrien Midombo, alias Papa Chicotte, Isidore
Mensah (Ministre des finances), André Guidibi (Ministre des transports
publics-en référence à Edgar), Marcel Vidokin(journaliste), Sandra Kangni (sœur
de Nelson), Justin Solloté(journaliste- qui rappelle la fois Justin Roger Migan, Pélagie Solloté) Gérard Médégan (commissaire général
de la Police), Joseph Toffo, Norbert Assaba (peut-être en référence à ce
professeur dispensant les cours au département de sociologie, Professeur de
sociologie), Adjinou (jeune étudiant tabassé pour avoir osé poser les yeux sur
Josiane, Karine Djossou(camarade de classe de Sandra, devenue fiancée de Juju).
Antoine Datondji , (Ministre de l’intérieur), Nicolas Amoussouga
(commandant de la gendarmerie), capitaine Mamadou Moumouni (capitaine retraité
de l’armée dont la maison inachevée sert de repaire aux membres du calice
noir), Thierry Tossou, (Sergent Chef, oncle de Jojo), Damien Codjo, (étudiant,
doyen de tous les étudiants), Dah Houawé (journaliste, portant le même nom que
celui de CAPP FM, officiant tous les jours ordinaires à 10heures pour une revue
de Presse en fongbe).
L’action aussi.
La vie à trois, menée par Jojo, Nelson et Malcom et après le
départ de celui-ci, Juju, ne doit étonner aucun béninois qui s’intéresse aux
réalités académiques du pays. Faute de moyens en effet, plusieurs étudiants se
retrouvent dans l’incapacité de se payer une maison décente. Par solidarité
mais aussi par nécessité, ils se retrouvent ainsi à deux, trois, quatre et même
parfois plus à partager un espace réduit. Les tables servant quelques fois de
lits ou de matelas. Le narrateur a même utilisé le mot « réduit »
pour désigner leur cadre de vie.
Le choix de
Calavi n’est pas anodin. Zogbadjè, le village universitaire est déjà saturé.
Les propriétaires terriens voyant l’ampleur que prennent les demandes de
location chaque année n’hésitent pas à construire de nouvelles maisons plus
jolies certes, mais très chères. Pire, les anciennes maisons sans autres formes
de procès connaissent des augmentations exponentielles. On n’en veut pas aux
propriétaires pour autant, c’est la loi du marché. Mais beaucoup d’étudiants, démunis,
se retrouvent ainsi exclus du système et vont chercher ailleurs, loin du
campus, quitte à devenir des éternels abonnés au bus.
Si Nelson et ses
amis se retrouvent à Calavi, cela s’expliquerait donc par cet aspect de manque
de moyens surtout que c’est la maison d’un instituteur retraité qui est louée.
L’instituteur béninois a une marge financière que personne n’ignore. On
s’imagine donc ce qu’il a pu mettre à disposition des personnages. Jérôme
Nouhouai, voudra ainsi interpeller les autorités politico-administratives à
beaucoup s’intéresser aux conditions de vie estudiantine, puisque, même les
critères pour se retrouver dans les cabines universitaires sont parfois
discriminatoires, régionalistes et souffrent d’un mal incurable : la
corruption.
A propos de cet instituteur,
Papa chicotte, les interdits qu’il affiche ne sont pas non plus étrangers au
commun des Béninois. L’on rencontre ici et là, des propriétaires zélés, imposant
des lois irréalistes. Car, interdire à de jeunes étudiants de venir à la maison
avec leurs petites amies, c’est empiéter sur leur vie privée.
Le réalisme de
l’action ne se limite pas à la vie des
étudiants en dehors de leur lieu d’étude. Le campus d’Abomey-Calavi est décrit
dans une vérité crue. Les emplacements de l’ENEAM, du rectorat, de la FLASH, de
la FASJEP, sont rapportés dans leur moindre détail réel.
Par ailleurs,
même si elle est mêlé de fiction, cette haine pour les libanais existe au Bénin.
En effet, tout ce que Malko rumine contre les Libanais est vrai : la
corruption, le proxénétisme, la zoophilie à laquelle les jeunes filles sont
mêlées contre de maigres sous…. Le groupe mythique de théâtre Semako WOBAHO, a
même traduit ce sentiment à travers une chanson, générique de l’un de leur télé-film.
La réalité des
faits, c’est enfin ce triple braquage de Dantokpa, où des banques ont été
dévalisées suivi des réactions musclées mais infructueuses des forces de
l’ordre.
3- UNE XENOPHOBIE AGISSANTE
De deux mots grecs Xénos, étranger, et Phobos,
peur, effroi, la xénophobie, signifie, la peur ou la haine de l’étranger. Cette
haine qui fait qu’un individu prend toutes les dispositions même les plus
malsaines ou meurtrières afin que l’autre qui n’est pas chez lui, ne se
retrouve pas dans son rayon de vie ou d’activité. Ce sentiment ou cette
réaction conduit, une région, un pays et même le monde dans des guerres
interminables.
Malko, rongé par
cette haine des libanais à Cotonou, n’a pu
se contenir. Il est vrai,
l’histoire de sa famille racontée peu après sa mort par son géniteur, est
pathétique. Voir sa sœur mourir, se retrouver avec des séquelles de jambes
brisées, subir la grande humiliation d’assister au mépris de « l’étranger »
qui se permet tout chez soi… tout ceci est très difficile à supporter. Comment
expliquer, et cela est avéré, qu’au moment où des peuples africains sont
chassés, rapatriés manu militari
d’ailleurs, non pas parce qu’ils ont commis des actes répréhensibles, mais
juste pour s’être retrouvés sur un territoire qui n’est pas le leur, un simple
étranger, si Blanc soit-il fasse la loi chez soi. Ces mots sortis difficilement
de la bouche du père de Malcom en larmes, pleurant son fils, sont assez
édifiants : « vous savez que
même quand on est étranger et qu’on a de l’argent dans ce pays, on peut tout se
permettre »
Dans un pays où
on est en mesure d’enfermer un citoyen juste pour son véhicule dont l’assurance
n’est pas à jour et non pour absence d’assurance dans un accident où seuls de
légers dégâts matériels ont été constatés, on peut comprendre la rancœur de
quelqu’un qui voit le chauffeur d’une voiture qui a tué sa sœur, non seulement
en liberté, mais qui se permettent le luxe de narguer, de proposer arrogamment
de l’argent ou même de licencier.
L’intégration de
Malcom au Calice Noir, n’est pas à encourager certes, mais contrairement aux
Européens et autres qui ont de la haine gratuite pour les Noirs, on peut
comprendre la haine de Malcom envers les Libanais. Plusieurs articles de presse
ont fait état de ce ressentiment des Béninois envers cette communauté notamment
celui de Courrier international, du 08 janvier 2004 intitulé : « A Cotonou, les Libanais ne sont pas en
odeur de sainteté » où le journaliste expliquait que « Le crash d'un avion libanais à Cotonou a
provoqué des sentiments ambigus au Bénin. Un pays où les Libanais sont aussi
influents que mal aimés. »
Pire, sur le site
Koaci.com, le journaliste Sékodo, a révélé dans un article datant du 20 janvier
2012 avec pour titre « Mauvais
temps pour les Libanais: Arrestation de Kodeih et expulsion de Karroubi »
repris également par jalome.com, non seulement les activités très peu légales
que mènent les Libanais à Cotonou mais aussi et surtout la complicité dont ils
bénéficient de la part des autorités : « Selon un juriste qui requiert l'anonymat, le gouvernement a mis la
charrue devant les bœufs. ''Blanchiment d'argent et trafic de drogue sont des
infractions, donc des crimes internationaux.
Et tout crime est puni par les dispositions légales. Le gouvernement en
agissant ainsi, a fait une fuite en avant. La logique serait de rassembler
toutes les pièces justificatives de ces infractions, puis de passer à la
punition. Et c'est après qu'interviendra la décision d'expulsion. Le
gouvernement va-t-il revenir encore à la punition avant l'expulsion ? C'est une
interrogation'' a-t-il lancé. Après le Libanais Kodeih reconnu pour les affaires
du genre, qui est actuellement gardé au commissariat central de Cotonou, voilà
un autre groupe libanais dirigé par Ali Mohamed Kharroubi, qui vient d'être
expulsé du Bénin. »
L’autre fait
pour lequel, on pourrait comprendre Malcom est son chômage. Avoir su poursuivre ses études sans père ni
mère, avec la hantise de l’image de sa
sœur dont la vie est brisée par un chauffard, réussir à obtenir le Bac, passer
quatre ans sur le campus avec toutes ces difficultés de la vie estudiantines,
obtenir enfin sa Maîtrise et se retrouver sans travail sérieux, cela peut donner
des envies et pas toujours de bonnes. C’est aussi un grand cri d’alarme de l’auteur
afin qu’un clin d’œil soit porté vers la politique d’insertion sociale des
jeunes diplômés. Le grand Voltaire a raison, « le travail éloigne de nous trois maux : l’ennui, le vice et le
besoin ». Certainement que Malcom ne serait pas enrôlé dans cette
affaire s’il était occupé à exercer un métier digne du nom. On ne demande pas
forcément à l’Etat de faire de tous les diplômés ses agents. Seulement une
politique d’auto-emploi devrait être élaborée pour rendre responsable chaque
jeune. Cela éviterait, non seulement les envies de vol, mais surtout la tentative
de se mettre en association pour nuire aux autres si mauvais soient-ils.
Seulement et je
pense que c’est l’avis de l’auteur aussi, une ligne rouge a été franchie par
Malcom et on n’a pas besoin d’avoir cette position extrémiste. Le narrateur aussi
a bien des raisons de s’en prendre aux Libanais, car lorsque Josiane l’a laissé,
elle s’est retrouvée avec des Libanais. La haine du narrateur aurait pu aussi
se transformer en cette envie d’en finir avec les Libanais et les Indo-pakistanais,
de commettre des attentats en plein Cotonou, ou de rentrer dans une nébuleuse.
Mais lui, a su refuser, (peut-être à cause de l’histoire de Malcom) quand la
même proposition lui a été faite sur le campus.
Je l’ai déjà
dans un article intitulé « De l’ivoirité à la francité, Fillon creuse le
sillon » : « Toutes les guerres
du monde à commencer par celle d’Hitler ont eu pour sous bassement, la
xénophobie. » Ce n’est donc pas un sentiment bénéfique, au contraire,
on doit pouvoir le classer dans les états affectifs négatifs.
La xénophobie en
réalité ne conduit à rien de bon et quelles que soient les circonstances
atténuantes que l’on pourrait trouver pour ce personnage, il est à condamner
avec la dernière rigueur. L’histoire de l’humanité nous renseigne que lorsque
ce sentiment atteint quelqu’un ou un peuple, c’est la catastrophe. La deuxième
guerre mondiale, on nous l’enseigne, a pour cause la haine d’Hilter et par
ricochet de certains Allemands envers le Juifs. Le Rwanda, avec les Hutu et les
Tutsi, la Côte-d’ivoire entre le Nord et Sud, et rien ne garantit que tôt ou
tard le Bénin ne passera pas par là si
on y prend garde.
Même si cela
relève de la fiction le passage suivant attribué à la mère du narrateur est
bien révélateur de ce que le Béninois peut ressentir envers des peuples voisins qui viennent leur rendre
visite.
« Ma mère était régionaliste et xénophobe et ne
s'en cachait pas. Lorsque nous habitions encore à Maro-Militaire, nous avions pour voisins, au
rez-de-chaussée, des Nigériens qui
avaient la fâcheuse habitude de mâchonner
du cola et de cracher partout, dans la rue comme à l'intérieur de la maison. Un jour qu'elle faillit perdre l'équilibre sur une expectoration plus
visqueuse ou plus épaisse que
d'habitude, il s'en était suivi une mémorable
dispute mêlant fon, français, malinké, bambara
et autres dialectes du Niger. « Tominnou
, Kaï-Kai\ mal élevés ! Retournez
garder vos moutons ! » criait ma
mère. Lors de cette dispute qui ameuta toute la maisonnée et une partie du quartier, elle fut soutenue par d'autres habitants et des passants qui,
prenant les Nigériens pour des
compatriotes nordistes, éructaient: -
Les gens du Nord, ils sont comme ça ! »
Par Nord, on entendait la
partie septentrionale du pays que les gens du Sud ne semblaient pas apprécier et réciproquement. Ensuite, lors de
sporadiques pics de banditisme dans le pays
où on apprenait que tel brigand de nationalité d'un pays voisin était appréhendé, elle ne manquait
jamais de maugréer: « Ces Ibos djimakplom,
toujours eux! Pourquoi ne
restent-ils pas dans leur pays à s'entretuer
? »
Des précautions énormes doivent donc être
prises afin que l’on ne puisse jamais laisser développer ce sentiment dans un
peuple.
« Prends garde aux ressentiments. C’est la
voie de la perte et de l’errance », a conseillé le narrateur et c’est
plus sage.
C’est pourtant
dans ce monde de haine, d’insultes et de méchanceté que le narrateur a pu vivre
deux histoires d’amour.
4- UN FANTASME INASSOUVI
A l’instar du
roman Les
fantômes de Brésil de Florent Couao-Zotti ou de Doguicimi de Paul Hazoumè, Le
piment des plus beaux jours de Jérôme Nouhouai est un récit avec comme
fond, une trame amoureuse tumultueuse entraînant les lecteurs à vivre des
passions les plus folles, des émotions les plus sordides.
Mais
contrairement à Doguicimi et le Prince Toffa dans Doguicimi, Anna Maria et Pierre dans les Fantômes du Brésil où l’histoire pathétique et tragique finit
comme un drame Shakespearien, Nelson Kangni, et josiane Assaba, n’ont même pas
commencé l’histoire avant qu’elle ne finisse.
Fol amoureux de
la jeune Josiane dont les parents sont riches, le premier problème auquel s’est
heurté Nelson est sa condition de vie. Un ancien ministre et député ne peut
concevoir que sa fille, élevée à des centaines de millions de francs, joigne sa
vie à celle d’un pauvre étudiant, incapable de se payer un appartement décent.
Ainsi, même en ne le connaissant pas,
celui-ci a pris la décision de préserver sa fille de tous ces garçons, à vils
prix qui croient qu’il suffira de dire « je t’aime » à une fille pour
l’avoir dans leur lit. La réputation de Josiane en la matière est très connue,
et plusieurs aventuriers avaient déjà essuyé des malheurs de la part des gardes
de corps spécialement commis pour prévenir la jeune et sulfureuse Josiane de
ces garnements. En l’absence permanente du père sur le campus, c’est même l’oncle Norbert Assaba, professeur
du département de sociologie, qui, en l’œil de Caïn, surveille tous les faits
et gestes de la jeune fille hors de son amphithéâtre.
Nelson, quant à
lui, après avoir été suspecté longuement, après qu’on a déchaîné des chiens à
sa poursuite devant la grande villa de Maximo Assaba, a dû agir héroïquement dans un combat à la Trabi
(héros du roman Les tresseurs de cordes
de Jean Pliya). Cela lui a accordé plus de point chez la fille qui commençait à
déjà l’aimer. Et lorsqu’il reçut ce premier baiser de Josiane, langoureux,
fougueux comme celui de Julie à Saint-Preux au bosquet dans la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques
Rousseau, la passion de Nelson pour Josiane s’est décuplée. Point d’heure sans
penser à elle. Tous les manèges ont été possibles à Josiane afin de contourner
le mur épais qu’ont érigé ses parents entre elle et le monde extérieur-
rencontre en catimini sur le campus- usage de téléphone portable de ses amis- etc…
Elle était prête
à tout pour vivre cet amour avec Nelson. Seulement, cet amour n’a pas su
surmonter le mal éternel dans les relations dans un couple : la jalousie.
Dans
l’incapacité d’avoir Josiane à portée de main comme il l’aurait voulu, en effet, Nelson assouvissait tranquillement sa
soif dans les yeux de Nicole. L’effort fourni par Josiane pour non seulement
échapper à ses parents mais retrouver la maison de Nelson afin de s’offrir à
lui, s’est avéré infructueux. Elle finit par donner raison à ses parents que
tout pauvre étudiant restera pauvre non seulement financièrement mais aussi
dans son intelligence. Les Libanais, riches et puissants seront appelés à la
rescousse.
Cette option de
Josiane a fini par parfaire la haine que Nelson ruminait déjà sa colère contre
les Libanais. De la bonne passion au début, cette belle relation qui retient
l’attention du lecteur, s’est transformée en une véritable haine des deux
côtés. Josiane, définitivement tournée vers un univers plus grand et Nelson
avec plus encore de hargne envers cette race de gens, qui non contents de venir
terrasser le peuple sur le plan économique, privent la jeunesse, des meilleurs
fruits de ses passions.
Seule la bonne
correction donnée au premier libanais à la sortie d’une boîte de nuit, restera
sa seule satisfaction. Le narrateur et c’est à ce niveau que son point de vue
interne a constitué un handicap au lecteur, n’a jamais dit un mot de ce que
Josiane a ressenti après l’avoir surpris chez Nicole. Elle est certes sortie
avec deux Libanais, mais les conditions dans lesquelles cela s’est passé n’ont
pas été dévoilées ; cela aurait peut-être permis au lecteur de connaître
ses motivations ; si c’est par vengeance, par contrainte ou par véritable
amour pour eux.
Cela aurait
permis de savoir si vraiment elle a aimé Nelson ou c’est une stratégie
développée pour échapper au contrôle parental. Car, on ne peut pas comprendre que
juste parce qu’elle a vu son amant chez une autre fille, elle puisse lui
tourner dos sans même chercher à entendre son son de cloche. Quel est cet amour
qui change brusquement du jour au lendemain ? L’amour est un état affectif
qui peut être positif ou négatif c’est vrai, mais quelles que soient les
raisons, il ne peut disparaître si brusquement du jour au lendemain, à moins
que celui qui le ressent y mêle la Raison. Il n’est pas question de condamner
ici Josiane, l’amour est insaisissable, on le sait, mais, le fait est que, loin d’agir comme un personnage
du rang où le narrateur l’a placée, elle a agi comme la plupart des jeunes filles,
impulsive, sans retenue, matérialiste.
Nelson lui, non
plus, n’est pas exempt de tout reproche. C’est parce que c’est lui qui raconte l’histoire
qu’on pourrait tenter de lui trouver des circonstances atténuantes. L’histoire
aurait été de Josiane qu’elle serait tout autre. Rien ne saurait justifier
cette vie vagabonde. Substituer une fille à une autre, c’est un manque de
respect. Mais il a souffert, et même si nous ne sommes pas dans La Nouvelle Héloïse, nous avons eu
l’expression abondante d’états affectifs négatifs. De la colère à la
mélancolie, en passant par le regret, la tristesse, la peur, la haine… Nelson
aura tout connu.
Le simple pardon
de Josiane aurait orienté la fin de l’histoire vers l’expression d’états
affectifs positifs. Mais, une fois encore, cette vie amoureuse tumultueuse,
loin des télénovelas, dont on nous asphyxie la vie en Afrique, confirme à l’instar d’Ahouna et Anatou, que
l’amour est un drame racinien : les protagonistes sont, la plupart du
temps, éloignés pour diverses raisons de ceux qu'ils aiment.
Andromaque, Phèdre, Britannicus, Bérénice sont autant de pièces de Jean Racine où l’aspect douloureux
de cet état affectif est mis en exergue. Quand on aime chez Racine, on se sépare
absolument de l’être l’aimé. Bérénice dans Bérénice
se désole ainsi, « Adieu (…) Combien
ce mot est cruel et affreux quand on aime » et prononce ce vers qui caractérise
si bien la passion dans la tragédie racinienne : « d’un amour qui devait unir tous nos moments ».
(Acte IV, scène 5 vers 1107)
C’est dire que
si Nelson n’a pas pu assouvir ses
fantasmes, cela va dans l’ordre normal des choses. Quand on tombe amoureux, il
faut fuir l’être aimé au risque de passer le reste de sa vie à se morfondre.
Loin cependant
de ce sentier battu, le style de Jérôme Nouhouai reste assez original.
5- UN STYLE A LA KOUROUMA
Les soleils des indépendances
n’aurait pas été publié que certainement, jamais, aucune maison d’édition
occidentale n’aurait accepté éditer Nouhouai. Complètement novateur, l’auteur
ouvre au Bénin une vague d’écriture qui mélange langues nationales africaines
et langue française.
C’est d’abord
une diglossie (procédé rhétorique qui consiste à mélanger deux langues dans un
même texte) qui le contraint à produire un glossaire. Pas moins de trente
quatre mots ont été empruntés dans divers registres de la langue fon du Bénin,
et d’une langue ivoirienne. Ainsi, l’auteur nous habitue, tel Dave Wilson à
cette salade linguistique qui a pour origine le caractère intraduisible de certaines
de nos réalités en langue étrangère. En effet, comment voulez-vous que l’auteur
puisse faire comprendre à ces lecteurs des mots comme Agbada, bomba, klouikloui
ou encore amiwo, vidomingon…
La tournure qui paraît très originale chez Nouhouai, c’est aussi
celle qui consiste à introduire la conjonction « que » au lieu de
construire la phrase introductrice d’une réplique avec l’inversion du sujet.
Ainsi, habitué à : « Tu es en quelle année ? » demanda –t- elle,
Jérôme Nouhouai nous propose :
« Tu es en
quelle année ? » qu’elle demande. p. 43
« Bonjour »
qu’elle dit en souriant ? p. 60
« Tu me
cherchais ? qu’elle demanda avec sa voix de yovo. p.60
Un mélange de l’oralité et de l’écrit qui attire et distingue
nettement l’auteur des autres.
Il y a surtout l’introduction de l’exclamation « Dê », emprunté certainement à la Côte-D’ivoire
et au Burkina-Faso. Ainsi on pourrait
rencontrer un nombre incomptable de fois dans le roman :
« Dê !
Donc tout le monde était au courant que je courtisais assidûment Josiane »
« Ah oui,
dê ! »
« Donc
méfie-toi dê ! »…
Les figures de rhétorique sont énormes qui rendent le roman très
riche en images. Cette étude se propose de se contenter juste d’en énumérer
dix.
La comparaison
Procédé rhétorique qui consiste à rapprocher deux éléments
comportant une caractéristique commune à l’aide d’un mot comparatif.
« Il était environ trois heures et la lune remplie comme un fruit mûr, brillantait une lumière hâve
sur la surface de la terre. »
L’anadiplose
Procédé rhétorique qui consiste à reprendre le mot final d’une
phrase au début de la suivante.
« J’avais déjà eu la triste occasion de contempler le
cadavre d’un présumé voleur. Lynché et
rôti. Rôti et brûlé. Brûlé et calciné. Ce n’était pas joli à voir. »
La
personnification
Cette figure consiste à évoquer un objet ou une idée sous des
traits d’un être humain
« Nous leur montrâmes la boule de lumière qui dansait sur les toits »
Répétition
anaphorique ou anaphore horizontale
C’est la répétition d’un mot ou d’une expression au début de
phrase ou de vers qui se suivent.
« On sentait
l’effort maîtrisé dans la durée, la crispation des muscles, le choc des pubis. On sentait l’air s’alourdir d’effluves
mêlant sueurs et sucs. »
L’oxymore
C’est un procédé rhétorique qui allie deux mots ou expressions
désignant des réalités contradictoires.
« On était là lorsque soudain, une formidable déflagration illumina le ciel du quartier et nous
statufia de terreur »
L’énumération
Procédé qui consiste à énumérer plusieurs objets ou mots de même
nature.
« Tu es le prototype
parfait du Nègre tel que l’imaginent nos ennemis : basique, limité aux seuls plaisirs, sensuels et émotionnels »
La catachrèse
La catachrèse est une figure de style qui consiste à détourner
un mot de son sens propre en étendant sa signification : le pied d'une table,
être à cheval sur une
« Au-dessus,
on voyait, les têtes travaillées des
arbustes ainsi que les casuarinas dont le
feuillage échevelé dissimulait une partie de la construction. »
L'hyperbate
L'hyperbate : dislocation de l'ordre des mots dans une
phrase.
« Étaient visibles également les cuves
obliques des antennes paraboliques »
L'allitération
L'allitération : répétition à intervalle régulier de la même
consonne
« C’était
Phina l’insatiable »
La prétérition
Elle consiste à déclarer passer sous silence une chose sur
laquelle on attire néanmoins l’attention .
« Malcom et sa haine des Libanais. Mais je ne voulais pas y songer. Ça me paraissait à la fois trop
grave et trop dangereux d’imaginer de telles choses… Il n’était pas sûrement le
seul à détester les quelques Libanais installés dans le pays »
Le registre du roman, est dans l’ensemble la satire sociale. En
effet, plusieurs phénomènes ont été dénoncés et le cadre de cette étude n’a pas
pu les aborder tous. L’homosexualité, la corruption, la mauvaise gouvernance
sont entre autres thèmes développés par l’auteur et qui ont reçu un traitement
assez critique.
Au total, c’est un chef-d’œuvre que ce jeune béninois nous offre
et je pense qu’au lieu de nous gaver avec une littérature étrangère vagabonde,
véhiculant des réalités autres que les nôtres, nos dirigeants ont un grand
intérêt à familiariser nos jeunes apprenants avec des auteurs de la nouvelle
génération comme Jérôme Nouhouai, afin que les études puissent permettre de
mieux comprendre chez soi.
Agence Sud Presse/ Anicet Fyoton MEGNIGBETO