De Anicet Fyoton MEGNIGBETO
De chaudes larmes filaient encore
de ses yeux et circulaient sur sa joue. Son
corps fluet, supportait à peine le climat aride de ce milieu d’où il venait de
se réveiller hagard. L’entourage, des barbelés de fer, lui parait suspect, car à peine se souvient-il
encore de ce pourquoi il se retrouvait là. Des réminiscences vagues lui
traversaient l’esprit. Mais rien. Toujours rien. Cet état dubitatif de mi
conscient mi endormi lui chauffait encore plus les nerfs. Il s’essuya le
visage, voulut adopter une posture normale, mais ce que réclamait le corps
était plus profond que le sérieux que la raison lui réclamait. Il se laissa
donc aller et retomba douillet sur ce canapé qui lui servait de lit.
Mais où donc puis-je me retrouver ?
se demandait-il. Qu’est-ce donc a pu se passer pour que je puisse me trouver
dans un univers pareil ? Mes parents ! Oui, mes parents, mon père, ma
mère, ma bombe de fiancée ! où sont-ils tous pour m’abandonner dans cet
état ? Ma fiancée !
Maboa surgit brusquement et
sortit de ces rêveries quand la petite porte qui servait d’entrée à ce lieu
s’ouvrit. Deux gardes entrèrent armés jusqu’aux dents, lui mirent, à une
vitesse lumière, des menottes aux mains et aux pieds puis le placèrent sur le
chemin de la sortie. Cette violence
réveilla rapidement Maboa qui commençait à retrouver son esprit.
Il se souvient. Un mois plutôt,
il était encore chez lui. Oui, installé chez lui dans ce village d’Assiangbomè,
où après ses études d’agronomie, il est retourné expérimenter les théories
apprises dans ce département de la FSA à Abomey-Calavi. Brillant étudiant, Il
se rappelle, que loin de tous ses camarades, il était toujours le premier de sa
promotion. Evidemment, le département excellait dans les cours théoriques et la
pratique n’était pas du tout une priorité. En manque de matériels adéquats, le
laboratoire était aussi chétif que vide. Les étudiants maitrisaient donc toutes
les notions élaborées par les grands agronomes depuis l’antiquité, mais à la
fin, le moindre cycle était difficilement maitrisable car, il suffit qu’il
pleuve un jour sans que cela ne soit prévu par la théorie pour que la panique
s’installe.
Pourtant, Maboa, se retrouvait
très bien dans cette ferme d’Assiangbomè. Une grande ferme où il faisait autant
l’élevage que l’agriculture. Très jeune, sorti fraîchement de l’université, il
ne tarda pas à faire ravage dans ce petit village. Les jeunes filles, fatiguées
de toujours avoir à choisir parmi ces vieux paysans sans ambitions, la plupart
polygames avant la naissance, trouvèrent l’occasion de manifester leur
revanche. Elles tournèrent toutes autour de l’agronome. Celui-ci, adepte de la
théorie d’une vie chaste, avait passé tout son temps sur le campus à ne
s’intéresser qu’à ses études. Les jeunes filles et lui vivaient dans deux
mondes différents. Quand, grâce à sa brillance, l’une d’elle tentait de
s’approcher, c’est comme s’il flairait de loin son odeur : il disparait du
secteur. Les seuls endroits qu’il fréquentait réellement étaient la Bibliothèque
de l’université et le centre culturel
français. Deux endroits que certaines étudiantes, délibérément ou par
inconscience, ont en adversité. La
réussite n’étant pas du tout un problème. Il suffit de taper à la bonne porte
et à l’heure indiquée pour avoir sa réussite assurée.
Donc, Maboa, les fuyait toutes
jusqu’au moment où, vers la fin de ses études, il en eut une qui lui plut. Mais
sa réputation a fait qu’il n’a pas eu la technique nécessaire pour l’aborder,
et réussir à la convaincre. Il savait lui, convaincre les enseignants à travers ses
productions, mais les jeunes filles, il n’en a pas l’habitude, il n’y arrivait
pas.
A Assiangbomè, ce problème ne se
posa pas du tout, puisqu’il ne s’agissait pas pour lui de convaincre. La matière
est là disponible et il n’a même pas d’effort à faire. Les jeunes filles
défilaient tellement que, et les anciens, et les jeunes paniquèrent. De
nombreux conseils de village se tinrent. Maboa risque de leur ravir la vedette
et leur priver de toutes leurs femmes. Le village risque même de ne plus avoir
de descendance car Maboa seul s’accaparerait d’elles toutes.
Cependant, Maboa n’était pas du
tout de ce genre. Défilé, il y en avait certes, mais dans son cœur, il y en
avait qu’une seule qui pouvait le faire vibrer. Une seule qui, à ses yeux
représentait la bonne compagnie dans cet endroit oublié de la terre, où seuls
on a pour compagnie, les herbes et les animaux.
La jeune et sulfureuse Kossiwa
aux derrière généreuse, était le souffre –douleur de Maboa et dès qu’il l’a su,
il mit fin, non sans mal au défilé. Les autres jeunes filles arguant que c’est
à travers le Gbotémi qu’elle a pu
gagner le cœur de l’agronome, s’y mirent également et Maboa se retrouva pendant
au moins un mois au lit, couché chez le guérisseur. Celui-ci, heureusement pour
lui, était le géniteur de Kossiwa.
A sa guérison, tout a été mis en
œuvre et les parents se sont mis d’accord pour célébrer le mariage. Maboa,
faisait régulièrement des cadeaux à sa future belle famille.
Revenant de la ville où il allait
de temps en temps pour faire ses provisions, il acheta une radio. Oui, une
petite radio, car il y a longtemps qu’aucune information de son pays, ni du
monde n’est parvenu à ses oreilles. Une radio qui marche avec des piles car il
est normal que dans ce trou, il ne pouvait l’alimenter avec du courant
électrique. Il acheta ainsi un carton de piles car il ne voulait pas être en
rupture avant le prochain tour en ville.
Rentré tout content et tout fier
de cette acquisition- il sera le seul du village à détenir un outil moderne-,
il fit fête avec sa fiancée par qui il envoya une bonne partie de sa provision
à sa belle famille : Sardine, tomate en boîte, biscuit, corned-beef…
toutes ces nourritures, only for dog importées et qui font la joie des
villageois qui en raffolent jusque parce qu’ils changeaient de nourriture mais
aussi et surtout parce que, quand on mange ces mets, on ne ressemble plus au
Blanc, on en devient un à part entière.
Il alluma sa radio. Mais il a du
mal a capté les chaînes. Il dut se déplacer un peu. Le village était montagneux
et son expérience lui dicte cette solution. Il alla donc s’installer sur l’une
des plus grandes montagnes du village situé dans le quartier Sodji. Là,
nettement il réussit à avoir l’ORTB, et même sur la bande SW Radio France
Internationale, RFI, réputé pour l’actualité mondiale.
Quelle n’a pas été sa stupeur, sa
grande joie, sa grande surprise, son euphorie quand, sur RFI, il apprit que le
pays le plus puissant dont il a toujours entendu parler, le pays issu de l’immigration
des Blancs européens, le plus grand pays esclavagiste du monde, le pays où ses
ancêtres ont souffert dans les plantations de canne à sucre à cause de leur peau,
le pays qui a fait la guerre de sécession, le pays qui a assassiné Martin
Luther King, a osé élire un Noir comme Président de la République. Le monde
tremblait à ses pieds. Il ne voulut rien en croire. Il éteint la radio. Mais la
rallume l’instant d’après afin que, de ses oreilles grandement ouvertes cette
fois-ci, il puisse l’entendre. Il changea même RFI, parce que selon lui, ces
français, il leur arrivait de dire quelques contre-vérités sur leur chaîne,
quitte à provoquer des remous dans la population et opérer des démentis après.
Il voulut capter l’ORTB, mais puisque
c’était un peu difficile, il tomba miraculeusement sur la BBC. Il a encore
quelques réminiscences de l’Anglais appris au collège et à l’Université et les
Etats-Unis parlent Anglais. Là, c’était clair, le 44ème président des Etats-Unis était un Noir, de
père Kenyan.
Pour lui, c’était la plus grande
fête, non plus parce qu’il a fait des emplettes, mais parce que, désormais,
tout était possible dans ce monde. Un Noir à la maison blanche. Là l’espoir est
permis. Pensait-il.
Un grand projet commença à se
dessiner dans sa tête. Il pensa que lui, grand agronome, major de sa promotion,
ne méritait plus de rester dans ce trou. Il en est même arrivé à se demander,
comment il a pu se retrouver dans un coin pareil, alors que de belles choses
pouvaient se passer ailleurs et que l’avenir serait radieux loin de chez lui.
Obama Président, c’est le paradis noir. Aucun Noir ne subirait plus aucune humiliation
comme autant de Rose Parks. Plus aucun Blanc n’osera lever la main sur un Noir.
Le Noir est libre, il est président. Et si un Kenyan a pu s’immigrer pour aller
jusque là-bas dans le pays de l’oncle Sam, pourquoi pas lui. Pourquoi lui, ou
bien les fils qu’il aurait là-bas ne deviendrait-il pas gouverneur d’un Etat où
Président avec pour siège la Maison Blanche.
Oui, c’est décidé, quel que soit
ce que cela puisse coûter, il faut qu’il aille aux Etats-Unis. Il a beaucoup
d’amis qui n’ont même pas fini les études avant de partir en Occident. Il
demanderait conseil. Obama est président et il n’avait plus besoin de visas. Il
faut être con encore à l’ère d’Obama pour chercher à avoir un papier pour
passer les frontières. Qui est ce Blanc qui pourrait l’arrêter ? Il avait
juste à lui dire que désormais, le pays est à eux. Qu’un Noir ne peut pas
siéger à Washington, et les laisser eux, les hommes de la même couleur que lui
dans cet état. Il faut être inintelligent pour chercher même à jouer à ce jeu
bizarre qu’ils appellent Loterie visas Amérique. Lui ? Non. Rien de tout
cela. L’important c’est de se pointer aux frontières et plus personne n’osera
le déranger.
Il apprit qu’il fallait négocier
un passeur. Traverser l’Atlantique par pirogue, faire au moins un mois, vivre
difficilement pendant ce séjour avant de se retrouver au Mexique ou à
Guantanamo au Cuba. Il se foutait pas mal de ceux qui tentaient de l’en
dissuader, parce que lui sait que s’il fallait même traverser l’Atlantique à la
nage, il le ferait. Que personne ne le trompe en évoquant Guantanamo car, avec
Obama, plus personne ne se retrouvera dans cette région qui abrite un grand
centre pénitencier. Obama, c’est ce qu’il a appris à la radio, a promis fermer
ce centre. Et puis, qui veut-on tromper ? Fidèle Castro n’est plus au
pouvoir. Cuba, c’est un passage garanti. Et puis les Mexicains ? ils ne
peuvent pas lui faire peur, eux non plus. Il connait leur histoire. Il sait que
quand on feint de rentrer dans leur réseau de narco trafiquants, on peut tout. Les
moyens pour y arriver importent peu. L’essentiel est de se retrouver sur le
territoire des Etats-Unis
Donc, tout a été ficelé pour que
le départ soit pris pour trois heures,
une nuit à la plage de Togbin. Togbin tout simplement parce qu’à Cotonou, à
Ouidah ou à Grand-Popo, les regards seraient trop braqués sur eux. Il informa
sa fiancée d’un imminent voyage. Un voyage dont il ne donne pas de précisions.
Il lui promit de venir la chercher. Ils partiraient loin de ce village où ils
vivraient très heureux avec une famille nombreuse.
Il prit sur lui tout l’arsenal
indiqué. De grosses couvertures pour se protéger du froid, de la nourriture et
pas n’importe laquelle. Du lio, du abla, du akandji, du klèklè, … enfin,
tous ces mets que les rois d’Abomey
avaient sur eux quand ils allaient à la guerre, parce que difficilement
périssables. Un bidon d’eau qu’il fallait gérer rationnellement, parce que
contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas pire produit rare sur
la mer que l’eau potable.
Aucune de ces conditions ne lui
disait rien, on lui a raconté, l’histoire de Ceuta et de Meula, et il sait
qu’il est astreint à de grands risques. Mais pour une Amérique libérée de
toutes ces histoires du genre racisme, tous les risques valaient la peine d’être pris. Il est
suffisamment fort pour affronter victorieusement tout cela. Ceux qui
réussissent n’ont pas deux têtes. Lui, ce n’est pas n’ importe qui. Lui
c’est Maboa. Le Fils de son père, major de sa promotion, fiancé de la sirène du
village. Lui, oui, lui c’est le futur gouverneur de l’Etat de la Nouvelle-Orléans
où il poserait ses bagages. C’est le géniteur du futur président des Etats-Unis.
Rien ne peut lui faire peur.
Les gardes ouvrirent une grande
porte à double battant après environ un kilomètre de marche difficile. Ces deux
mains et ces pieds lui faisaient énormément mal. Les larmes qui inondaient son
visage ont cédé place à de grosses sueurs qui coulaient de partout sur son
corps.
On le fit asseoir dans une grande
salle devant un grand monsieur en toge noir. Il comprit que celui-là ne pouvait
être qu’un homme de droit. On l’interrogea, sur son identité qu’il déclina, non
sans mal, car sa souffrance décuplait au fur et à mesure qu’il constatait les
menottes le serraient et les gardes ne le laissaient pas des yeux une seconde.
Toute idée d’évasion était impossible. Il n’en aurait même pas la force
physique. L’homme en toge noir, l’informa des causes de son arrestation. Deux
jours avant, il y avait eu un attentat à la voiture piégée. La CIA et le FBI,
ont mené des enquêtes rapidement et puisque, lui Maboa était dans leur fichier,
ils n’ont pas hésité à le prendre.
Maboa n’en revient pas ses
oreilles. Comment lui qui est venu dans ce pays d’Obama, ce pays si libre,
pouvait se retrouver dans une affaire si sale ? Il tenta de démonter qu’il
ne pouvait pas s’agir de lui, parce que
lui, était sur le territoire que depuis deux jours. On lui apprit qu’il s’agit
bien de lui, parce que, l’attentat est toujours commis par des musulmans et
puisqu’il en était un, il n’y a aucun doute que ce soit lui. Il ne peut pas
porter le nom d’Hussein et dire qu’il n’est pas musulman. Pire, il est Noir,
comment ne pas arrêter un Noir pour un attentat alors qu’eux tous ont le même
visage. De toute façon, la CIA et le FBI, sont formels, c’est sa photo qui est
dans leur fichier.
Maboa se dit surtout qu’il y a un
malentendu. Mais toutes ces tentatives pour démontrer le contraire firent
vaines. Il reçut un violent coup de pieds à ses tendons. Il s’est souvenu qu’au
fait, Obama est président et que maintenant il peut tout faire du moins tout
dire.
Il s’en prit donc aux Blancs.
Leur démontra qu’ils sont racistes. Mais que depuis le docteur Dubois, en
passant par Martin Luther King, Rosa Park, Malcom X, Le pasteur Jessy Jackson…
de nombreuses luttes ont été menées et que maintenant Obama est président. Que
rien de tout ce qu’ils feraient n’aboutirait parce que bientôt Obama lui-même
viendrait le sortir de cette prison.
Un autre violent coup de pieds
atteint sa jambe droite.
Cette douleur lui rappela encore
cette traversée de l’Atlantique. De l’enfer. Il fallait, affronter plusieurs facteurs
à la fois. La mer avec ses crises de colère, les passeurs qui se révèlent très
escrocs-il fallait à sa demande lui donner de l’argent quand il en a envie puisque
c’est lui le roi et que tous se retrouveraient au fond de la mer, voisins des
grands poissons s’ils n’obtempéraient pas- ces Shebabs somaliens qui, au lieu
de se contenter des grands bateaux pétroliers dans leur Océan Indien, viennent
s’associer au Boko Harm afin de semer la terreur jusque dans l’Océan
Atlantique ; la faim, la soif, le soif qu’il dut affronter pendant ce
trajet, et cette peur permanent d’être arrêté par les gardes côtes d’un pays.
Il a du affronter tout ceci, mettre les pieds enfin dans son pays de rêve, dans
l’Etat de la Nouvelle-Orléans où il comptait amener sa fiancée et former une
grande famille.
L’homme en toge noir, un Blanc,
bien-sûr, n’a pas su supporter ces injures à son encontre. Obama est président,
certes, mais le pays n’est pas au Noir. Des Blancs sont encore dans le pays et très
puissants. Qu’aucune illusion ne traverse l’esprit des Noirs. Aussi longtemps
que les Blancs existeraient dans ce pays, aucun Noir n’aura les coudées
franches pour gouverner. C’est pourquoi les Républicains lui mettraient
toujours les bâtons dans les roues.
Maboa fut immédiatement condamné
dans ce tribunal, avec ce simulacre de procès parce qu’il n’y avait même pas
d’avocat. Pour ne même pas le laisser souiller le sol des Etats-Unis et
puisqu’il affirme ne pas l’homme qu’ils recherchaient, il a été programmé dans
un vol charter pour retourner d’où il venait.
Dans l’avion retour, Maboa
continuait d’être étonné. Comment peut-on
traiter ainsi dans un pays où un Noir est président ? Les Noirs
l’ont pourtant élu à 90%. C’est ingrat de sa part.
On m’a renvoyé des Etats-Unis. Et
pourtant Obama est Président. Il ruminait
encore sa déception quand enfin il parvint difficilement à rejoindre son
village. Il apprit qu’il y a une grande manifestation inhabituelle dans le
village.
Sa fiancée, convaincue qu’il ne
retournerait plus, avait dit oui au jeune Instituteur qui venait de s’installer
dans le village.
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