Onomatopée d’un monde aux
abois
Armand Adjagbo,
sans être Issifou Dramani, récidive. Et ses mots pour corriger les maux, le
confirment dans ce choix fait de rester à l’écoute du peuple et avec lui. Slamodrome, mieux que Délices D’épices, installe l’auteur,
dans ce genre poétique qu’il est en train d’adopter définitivement, en témoigne
l’absence, dans cette présente édition d’une deuxième partie consacrée à
quelques textes poétiques écrits de façon éparse dans le premier ouvrage.
S’il a donc semblé avoir tergiversé dans son premier ouvrage, le slameur, sait
désormais où il va. Dans les pas de Marc Kelly Smith, il opère très lentement
mais assurément des pas de géant dans ce monde d’audacieux, soucieux du bien-
être de leurs concitoyens et capables de dénoncer, au prix de leur vie les
écueils qui entravent l’épanouissement juvénile, que dis-je, humain.
Ayant lu La
Fontaine et l’histoire littéraire du XVIIème siècle français, le poète sait
avant tout, dire haut les anicroches politiques sans les nommer. Hugolien
et Césairien endurci, Armand Adjagbo, s’attaque ici tout sans la moindre
retenue. De la politique à la religion, en passant par le social et le lyrique,
rien n’aura été laissé aux oubliettes.
Par ailleurs, si
les lecteurs pouvaient faire un reproche à Délices
d’épices, c’est bien qu’il s’est contenté de l’actualité nationale. Mais
cette fois-ci, ils sont comblés avec une incursion dans cet univers international
enclin à des dérives énormes, hégémoniques, politiques et religieuses.
Mais avant
d’évoquer cette envergure imprimée à l’ouvrage, une mise au point de ma part me
semble indispensable.
Armand Adjagbo
sait, en effet, que sur cette question des révolutions arabes, nos points de
vue ne concordent pas. Fan du XVIII ème siècle français, je sais surtout qu'un
peuple bâillonné est avant tout, un peuple qui se meurt lentement et que, même
avec la plus grande richesse, un homme qui manque de liberté d'action et
d'expression ne saurait être heureux. Et ce n'est pas parce que j'écris cette
préface depuis Tunis, berceau de ce printemps arabe, que je me conforte
davantage dans cette logique. Je crois avant tout que l'homme, n'est rien
d'autre que sa liberté.
Que le slameur
veuille que je lui écrive une préface à une œuvre où, (ou) vertement, il s'en
prend à l'Occident pour avoir soutenu les peuples arabes dans leur printemps c’est,
ce me semble, un piège tendu, dans
lequel je ne tomberai pas ; non pas par une fuite en avant mais surtout
parce que les arguments développés ne
manquent pas de pertinence.
Le monde, en
effet, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et la chute du mur de
Berlin marquant le terme de la guerre froide où Soviétiques et Américains
s’affrontaient par États interposés, n’a connu autant de remous
socio-politiques et religieux qu’actuellement. Un clivage net se trace
désormais, entre ceux que Georges W. Bush, Président des Etats-Unis (2000-2008)
a, à tort ou à raison, appelés « l’Axe du mal » et le monde
occidental. La civilisation occidentale, chrétienne, qui a atteint son
apogée de liberté depuis le XVIIIe siècle avec les grands philosophes tels que
Jean-Jacques Rousseau, Montesquieu, Voltaire… qui ont conduit à la révolution
française de 1789, consacrant le déclin de la royauté, se décide d’imposer
cette vision politique à tous les peuples orientaux, musulmans. Et, le choc
s’installe, non pas au niveau des civilisations, mais précisément au niveau des
religions, avec le 11 septembre 2001 comme point culminant. Mais ce qui, le
plus, met en courroux, l'Orient et fait accentuer les tensions, c'est que
l’Occident, loin de la version politique officiellement déclarée dans cette
lutte, œuvre pour des fins économiques inavouées, en témoigne le choix des
États attaqués, les plus riches en sous-sol, et qui refusent de le partager,
non, de le donner gratuitement. Le seul exemple pour s'en convaincre est que
l'Arabie Saoudite, même étant un royaume, n'a jamais été inquiétée par ces
tensions. L'Occident semble ne viser que ses intérêts quand il s'en prend à un
pays. Et toutes les puissances, même avec des visions divergentes finissent
toujours par s'entendre, parce que des propositions mirobolantes de partage de
la manne du pays se font.
« Si
tu me donnes beaucoup de blé,
Moi je fais la guerre à tes côtés
Si
tu me laisses extraire ton or,
Moi je t'aide à mettre le général dehors.»
chantait l‘artiste musicien ivoirien Tiken Jah
Fakoly dans Plus rien ne m’étonne.
Je sais donc avant
tout que le slameur, comme beaucoup d'autres ont d'énormes justifications à leur
position antioccidentale.
Mais au-delà du
fond de ce texte qui pourrait susciter des polémiques, j'aimerais inviter à
s'attarder sur le style qui ne laisse personne indifférent. Morceau choisi de
la belle salade linguistique :
« Le sol
libyen constipé ploie
Sous le poids des
cadavres qu’on fit
Pour noircir
Kadhafi».
Cette image même
lugubre garde toute sa beauté de ce que l'on pourrait appeler « allégorie
de Kadhafi ». En effet, chacun des mots de cette séquence est fortement
connoté. Le « sol » à la place du sous-sol incarne toute cette
profusion de ressources diversifiées dont dispose le pays. Ceci, notamment
renforcé par la présence du participe passé « constipé » qui consolide
la thèse d'abondance extrême. La Libye en effet comme la RDC (République
démocratique du Congo) est un accident géographique et géologique qui combine tout
ce qu'un sous-sol peut avoir comme valeur. Le pays est si riche qu'il ne sait
plus quoi faire de ses biens.
La belle plongée
dans cet univers de pétro-dollar ne sera que le prétexte pour fustiger ces
révolutions arabes fortement soutenues par l’Occident, France et Etats-Unis en
tête. A la place de « révolutions », l’auteur trouve que ce sont des « révolues solutions » agissant
ainsi sur la phonétique pour obtenir des terminologies nouvelles battant en
brèche tout l’argumentaire développé pour applaudir ces changements de pouvoir
dans le monde arabo musulman.
Et le lexique du lugubre s’enchaîne pour
peindre d’un pinceau noir, tout ce que l’Occident a applaudi et a fait
voir en blanc :
démocratie
à prix de sang/Qui broie l’innocent/ Démocratie vendue à la criée/Qui boit du
sang/ Se nourrit de chair/Et danse la musique des armes/Avec des soutiens
en armes/ Pondeuses de charniers… du sang argent liquide/ Du cadavre billet
craquant… Il y a là de la matière à avoir la chair de
poule.
Dans cette même
verve au plan national, les mots pour reprendre l’actualité, sont autant durs
qu’accrocheurs. Il s’agit pour une bonne partie d’une apostrophe adressée à un
« fantôme rebelle ». Fantôme rebelle tout simplement parce
qu’il s’agit d’une victime d’assassinat qui refuse de laisser tranquille. Son âme
est en permanence là, qui hante. C’est une apostrophe qui vire pratiquement au
délire car, elle part de tentative d’explication de l’acte à une
culpabilisation profonde et sincère ; mais prend l’allure aussitôt d’imprécation,
de profération de puissance, détaillant au passage les nombreuses malices dont
on fait preuve pour déjouer les coups politiques et demeurer toujours seul
maître à bord. Le cœur même du pouvoir politique est atteint, décortiqué pour
permettre de comprendre qu’en réalité l’écrivain congolais Henri Lopès a raison
lorsqu’il a affirmé dans « Sans tam-tam » :
« Nous nous jetons sur le pouvoir pour le
pouvoir, l’esclave ne s’affranchit plus pour libérer de l’esclavage, mais pour
devenir maître d’esclaves. »
L’allégorie des
trois frères insérée dans le texte sous forme de conte, est cependant là, en
bon conseil pour ceux-là qui croient que, une fois au sommet, ils peuvent laisser
tomber de la fiente sur la tête des autres. L’heure de la descente viendra, où
ils n’auront plus personne, semble indiquer l’auteur. « La roche tarpéienne n’est pas loin du
capitole ». a-t-il signalé. Ainsi, tel G G Vickey, l’auteur convoque
la conscience de ceux qui se surestiment à l’instar de « Jeannette »
dans la chanson Vickey est mort. Les
dirigeants politiques doivent comprendre qu’il y a un temps pour tout et que le
même peuple qui a applaudi aujourd’hui, est le même qui peut lancer la pierre,
le jour suivant.
Heureusement dans
cette atmosphère très amère, le slameur trouve un espace pour se mettre en
scène. Mais ce sera encore pour se plonger dans, tel Lamartine dans une
tristesse profonde, mélancolique, voyant l’âme sœur en danger. L’image du
Christ sur le Golgotha est bien révélatrice de cette douleur de l’auteur de
voir sa moitié peut épanouie. En effet
ce passage lyrique s’inscrit autant que les autres dans un univers amer, pas
lugubre cependant. Car, il semble
exprimer l’éternité de ce feu dont les cendres encore incandescentes refusent
de s’éteindre. L’espoir atemporel auquel il invite, les moments heureux
ressassés, cette foi en l’avenir concourent à confiner l’auteur dans le ce
lyrisme.
Je ne saurais
finir cette incursion que l’auteur me permet de faire dans son œuvre dans cette
ambiance terne. Car, avant tout, s’il s’acharne à démontrer un monde aux abois,
ce n’est point de sa faute. Que peut-on face à la réalité ! Je pense que
c’est une contribution assez heureuse, annonciatrice comme une hirondelle, d’un
printemps, non arabe, mais humaniste, qui ne saura être ni téléguidé, ni
détourné par les extrémistes occidentaux avec leurs films et caricatures, ni
par les Islamistes avec leurs assassinats et autres attentats à la bombe. Je
voudrais ainsi retrouver cet espoir à travers le titre de l’ouvrage, original,
dont je tente ici, quelques explications.
« Slamodrome » est en effet un
néologisme qui combine[U1]
deux mots, « slam », le genre du texte et « drome », affixe
français qui signifie course, mouvement et qui en Anglais, peut se lire
« drum » tam-tam. A travers cet instrument rythmé qui invite à la
danse, c'est l'image du mouvement qui demeure. Le slameur avec cette
combinaison voudra proposer une piste de réflexion sur laquelle il invite les
jeunes de la « génération consciente » de ce siècle de liberté, à
éclore la parole et à ne plus demeurer des éternels assistés, des spectateurs
passifs ou « joyeux » de ces mélodrames, ces « belles
tragi-comédies » comme il l'a écrit, qui se jouent au sommet de nos États.
C'est aussi, une manière pour lui d'indiquer une nouvelle voie, une option
neuve choisie désormais pour communier avec le peuple.
C’est enfin, un
cri d’espoir qui conforte chaque jeune dans un monde qui n’a d’autres refrains
actuellement que le lexique de la terreur. Cri d’espoir pour faire taire « les
balles » comme le demande Eustache Prudencio « Que les balles se
taisent » (dans violence de la race)
Et pour entonner comme G G Vickey, « La roue tournera ».
Fyoton
Anicet MEGNIGBETO
Aéroport
International Mohamed V de Casablanca en provenance de Tunis, ce 30 septembre
2012.
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