Le nom Ousmane Aledji
sonne au Bénin, particulièrement théâtre. Le doute est levé tout de suite, car,
acteurs de la chose littéraire, dramaturges, spectateurs,
téléspectateurs et auditeurs reçoivent ce nom comme un nom de la même famille
que le théâtre. Son ascension récente à la tête de la structure faîtière du
théâtre béninois (FITHEB) en est une
grande illustration. Mais depuis 2002 où il a servi Cadavre mon bel amant aux éditions NDZE, le silence au niveau de ses publications est
resté plus qu’assourdissant. Un silence mal ruminé par ses lecteurs qui peuvent
désormais se réjouir de Omon-mi (Mon enfant), co-édité par les éditions Plumes
Soleil et Artistik Editions. De quoi est-il question ?
Omon-mi (Mon enfant) restera une pièce de
théâtre unique. Les théâtrologues classeront difficilement la pièce dans une
catégorie précise. Toujours est-il que cette pièce de 100 pages sort des
sentiers battus et bat en brèche plusieurs règles du théâtre, à commencer par
celle des trois unités, action, temps et lieu.
L’ACTION
La pièce raconte une histoire prise en elle-même pour banale
notamment dans certaines contrées africaines. Un enfant qui naît enroulé dans
du placenta. Sacrilège. Sacrilège pour une tradition puriste respectueuse des
lois de la nature qui n’accepte aucun enfant qui ne sort des entrailles de sa
mère indemne, la tête en premier. Sacrilège pour une tradition fidèle à ses
principes, rejetant toutes modifications, toute autre manière de venir au monde
considérée tout de suite comme une anomalie. Sacrilège donc qui mérite une
punition adéquate. Le refus d’existence. La mise à mort. Arraché donc à sa mère
pour ce crime d’anomalie de sortie,
l’enfant sera condamné à être enterré vivant par des adultes commis à la tâche.
Malgré la crise de conscience de l’un d’entre eux, les protestations de la mère
rebelle pour avoir déjà mal ingurgité le malheureux et mortel sort qu’on a fait
subir à son autre enfant Albinos, le Dah, chef de la communauté et ses
conseillers n’ont pris autre décision que celle indiquée par la coutume, même
au détriment de l’une des pratiques de cette dernière qui aurait permis de
consulter l’avis des ancêtres. Une folie maternelle logique coiffe tout.
LE TEMPS
Même si l’on pourrait difficilement rejeter les vingt-quatre
heures d’action, le temps dans cette pièce n’est pas linéaire. Il suit un
rythme anachronique. La scène s’ouvre sur un environnement nocturne, remonte
aux actions de la journée, la naissance, le baptême, le conseil des sages,
l’enlèvement, l’horrible inhumation, pour revenir à la même nuit et indiquer le
cynisme de ces thaumaturges qui se saoulent après avoir commis l’innommable. En
dents de scie donc, le temps de cette pièce reste bien collé à son temps
historique, celle d’un monde qui malgré son ouverture sur la modernité reste
bien attachée à des pratiques qui s’endurcissent, et persistent. Mais la
concentration du temps aussi en vingt-quatre heure, cette accumulation en un
temps si réduit pourrait traduire cet enfer, cet engrenage que la tradition
fait subir aux parents qui ont le malheur de voir leurs enfants naître avec des
normes autres que celles dictées par la société ; comme si les parents pouvaient décider de la
manière dont leurs enfants allait naître. Ce temps d’enfer est comparable à La parenthèse de sang évoqué par le célèbre
dramaturge Sony labou Tansy.
LE LIEU
Les lieux de la pièce sont loin de respecter la règle de
l’unité. Le dramaturge lui-même précise les divers lieux. De la forêt où l’enfant a été enterré à la
boite Nelson bar, l’espace dans cette pièce est bien ouvert et multiple. A la
naissance, l’enfant a reçu un baptême conséquent chez ses parents qui ont reçu
des visites. Il a été ensuite volé donc a pu quitter chez ses parents pour être
transporté par ses ravisseurs dans la forêt. Il a ensuite quitté l’espace
terrestre pour celui souterrain, puisqu’il a subi une inhumation
indescriptible. Mais avant tout ceci, il a fallu que le Conseil siège pour
décider de son sort. Ainsi, si le temps peut être comparé à un engrenage, il
n’en est pas de même pour le lieu, ouvert
pour des mouvements multiples. Mais toujours est-il que ces mouvements,
loin d’être à l’avantage du personnage principal qu’est la mère et de son
enfant, sont à leurs dépens.
L’action, le temps et le lieu forment donc un cercle tragique
comme celui des tropiques d’Alioun Fantouré pour mieux assommer, pas
politiquement mais socialement l’individu.
Mais on prendrait mal la pièce si, avec le temps, l’action et
le lieu on déduit sans autres formes de procès qu’Ousmane Alédji reste dans la
même logique que Florent Couao-Zotti par exemple dans la nouvelle parue dans le
recueil Poulet bicyclette et cie et
intitulée « L’enfant sorcier », où le nouvelliste sauve l’enfant des
griffes de ses bourreaux, traitant la pratique de barbares. Ce serait mal lire la pièce d’Alédji. En
réalité, le dramaturge sort de ce sentier battu et propose à ces lecteurs une
autre approche de ces critiques occidentales toutes formulées dans le seul but
d’indexer la seule Afrique comme couvant des pratiques barbares. L’horreur
indexé est-il uniquement imputable à une
seule région du monde ?
OMON-MI, UNE PIÈCE A THÈSE
La rébellion de la mère et sa folie sont loin d’orienter le
lecteur vers une position dénonciatrice des pratiques ritualistes. En réalité,
le lecteur est progressivement orienté sur
une analyse de la situation autre qu’une condamnation béate. On sait que l’une
des raisons évoquées par le colon pour envahir le continent africain dans le
but unique de s’emparer de ses richesses est l’évocation de ces pratiques qui
le confondent aux grands singes de la forêt équatoriale. Claude Lévis Strauss,
Gobineau… dans leurs rapports de voyage peignaient le Noir en noir. Il fallait
insister sur la barbarie pour montrer la nécessité de nous apporter la Lumière,
prétexte à une colonisation sauvage. Est donc barbare, toute pratique
culturelle venant de ces gens noirs, si noir que l’on pourrait se demander si
Dieu si bon peut mettre une âme dans un corps si noir (Montesquieu). Les premiers écrivains africains tel que
Paul Hazoumè à travers Le pacte de sang
ont donc servi de relai à théories colonialistes qui confortent la domination
coloniale. Même jusqu’à ce jour, il est clair dans l’entendement humain, que
quand on évoque la barbarie, l’on pense d’abord au continent africain. En
témoigne plusieurs ouvrages et films condamnant l’Afrique.
Mais Alédji ici, prend tout le monde à court. Loin de se
contenter de condamner le fait, il ouvre sa pièce sur une série de
questionnements. Le lecteur est promené un peu partout dans presque toutes les
grandes capitales du monde où des pratiques identiques ou pires sont monnaie
courante.
« Dans les
hôpitaux d’Acapulco, de New York, d’Abidjan, de Londres ou de Paris les mieux
équipés du monde, on se débarrasse des enfants sorciers, par centaines.
Dans certaines régions
de la Chine, les fœtus féminins sont traités comme des ennemis de la
République. Ailleurs, des laboratoires souterrains se battent autour des
cellules souches pour cloner 42 fœtus en une heure. » p. 91-92.
Sous d’autres noms plus civilisés donc, les mêmes pratiques
se déroulent, officiellement avec une législation appropriée. Mais pourquoi
accepter et financer les avortements, pourquoi autoriser l’euthanasie, pourquoi
cloner des fœtus et s’en prendre dans le même temps aux africains qui sélectionnent
leurs nouveaux nés ?Même si Aledji n’approuve aucune des pratiques, il
s’interroge quand même sur le droit qu’ont les uns de s’en prendre aux
autres alors que dans le même temps ilsont
les mêmes cultures meurtrières ?
On comprend ainsi aisément cette série de questions posée par
l’auteur :
« Faut-il au nom
d’un humanisme bienveillant, de la correction, de la morale et de l’éthique,
laisser naître et grandir un enfant que l’on sait différent, déficient
handicapé ?
Nous sommes-nous
entendus sur des exécutions excusables d’enfants ?
L’humain a-t-il le
droit de s’arroger le pouvoir de vie de mort sur son semblable ?
Y a-t-il une culture
plus humaine, plus humaniste, plus civilisatrice qu’une autre ? » p. 91
Cette série de questions déterminent la neutralité que
voudrait afficher Aledji, une neutralité en réalité convertible en thèse
respectueuse des pratiques de chaque culture.
UNE ÉCRITURE INNOVANTE
Cette sortie des sentiers battus ne se limite pas uniquement
à la thématique. L’écriture restera aussi innovante avec un découpage en 14
scènes sans actes. Le lecteur découvre aussi des répliques ordinaires
similaires à celles que l’on pourrait découvrir dans un récit romanesque. Une
attribution de parole dans un dialogue théâtrale extraordinaire où le ne voit
pas écrire le nom des personnages mais où l’on découvre juste des tirets de
dialogue. L’on note aussi la présence de personnages comme Le narrateur qui
raconte effectivement les faits et la présence de scènes avec pour seul contenu
une didascalie.L’on pourrait cependant déplorer la présence abondante de
didascalies surtout au niveau des débuts
de scènes. Un constat qui s’éloigne du nouveau théâtre qui se veut respectueux
du metteur en scène, libre dans ses retouches et orientations de la pièce.
Au total, Aledji renoue avec les publications, avec une
grande innovation et enchante la dramaturgie béninoise avec une orientation
pertinente d’un sujet sociologiquement capital : omon (enfant).
Anicet Fyoton MEGNIGBETO
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