Sacres et sacrilèges du culte Egugun.
Par Anicet Fyoton MEGNIGBETO
Le narrataire sort d’Aagan comme d’un parcours initiatique,
non seulement du culte des Egugun, mais aussi de la tradition yorouba.
Tellement l’isosémie et l’isotopie narrative respirent ce peuple de l’Est du
Bénin.
Installée au cœur d’une
royauté en effet, la trame narrative de ce récit hétérodiégétique plonge dans
les méandres d’une famille princière qui n’aura pas dérogé à la règle épique et
fantastique des dynasties où coups bas, intrigues, mesquineries, jalousies et
amour se mêlent et cimentent le quotidien des courtisans.
Cette étude qui se veut
panoramique, est une analyse de contenu pour nous prolonger dans la truculence
de la série de récits que nous offre Abdel Hakim Laleye.
Mais avant de faire cette
incursion dans Aagan, une mise au point semble indispensable quant aux
personnages du roman. Tellement l’onomastique joue sur l’euphonie pour nous
présenter des paronymes presque parfaits.
Les deux frères Baalè
confirment notamment ce jeu phonique avec Adigoun et Adéogoun. On s’y perd
facilement. C’est certainement la divinité qu’il vénère qui leur confère ce
suffixe « goun », un
diminutif de « Ogoun » nom de la divinité yorouba, celle qui s’occupe
du fer dans le panthéon fon, le correspondant d’Héphaïstos chez les grecs. Des
entrailles de ces deux est sortie une progéniture qui partage non le suffixe,
mais le préfixe : « Adé »
« la couronne », certainement pour indiquer qu’ils sont fils et
filles de roi, appelés à porter la couronne ou à l’incarner. Adéyêmi, Adéjo, Adésewa, Adétoun, Jolaade, vont former avec la famille Aralamo et les sages, l’univers
des personnages de ce roman.
Une famille nucléaire
africaine cependant à l’antipode des réalités, tant elle se retrouve être
réduite Une épouse, deux ou trois enfants. Ce n’est vraiment pas la norme. La
conception de « l’enfant richesse » contraint les souverains parfois
contre leur gré à épouser quarante –et une femme. Même si, comme l’a souligné
Kowanou Houénou dans Les enfants de la
poubelle, elles ne sont pas vraiment des épouses ou comme le suggère Ken
Bugul dans Riwan ou le chemin de sable,
elles ne constituent qu’un décor pour l’homme, se mariant uniquement pour les
avantages sociaux et éventuellement terrestres. Le Ndigueul. Toujours est-il
que la conception de la famille dans cet ouvrage se révèle une exception
africaine. Peut-être qu’avec les données modernes introduites, l’auteur a voulu
aussi moderniser la royauté Yorouba. La famille nucléaire aussi.
Le narrataire peut se
retrouver dans la tentative d’arbre généalogique suivante.
Adéyêmi - Adéjo ojuola
Adésewa Adétoun Asabi (femme)
Jolaade
ARBRE
GENEALOGIQUE DE LA FAMILLE BAALAE DANS AAGAN
Ce préalable qui remet chacun des personnages
à son statut, nous permet aisément de rentrer dans leur psychologie afin
d’avoir une idée assez positive de ce que représente chacun d’eux.
Le premier d’entre eux dans
l’ordre de la présentation dans l’ouvrage se trouve être Adigoun, le Baalè et
ainé de la famille.
Adigoun
Baalè, c’est-à-dire souverain détenteur
des pouvoirs aussi bien naturels que mystiques du royaume. Le narrateur le
présente comme un roi débonnaire, agissant comme il faut, prenant tous ses
sujets comme étant respectueux de son trône. Il a su gérer le royaume dans la
dignité, combattant réellement la corruption- il a destitué Aralamo de son
poste pour corruption – continuant à croire que sa place est si naturellement
acquise que rien ne pouvait la lui arracher. Sa mort brutale, est peut-être un
moyen pour le narrateur de le punir de sa naïveté. Un prince au trône doit
toujours rester vigilent et méfiant, même vis-à-vis de son entourage proche,
car celui qui sait que la place lui échouerait à la disparition de l’occupant,
ne reste jamais tranquille. C’est certes sadique, mais le pouvoir est
machiavélique. Ses réalités dépassent l’entendement humain. Ainsi si l’on
pourrait louer la magnanimité d’Adéogoun, l’on ne saurait tolérer sa passivité.
Mais c’est l’une des réalités du pouvoir sur lequel l’auteur a mis l’accent
afin d’édifier.
Adéogun
S’il y a un personnage du
texte qui incarne Tartuffe, c’est bien le Baalè Adéogoun. Pire que le faux
prêtre dans Les confessions du Pr de
Daté Barnabé-Akayi, qui au moins s’est présenté à visage déguisé, c’est de loin
et de façon mystique que lui a scellé le sort de son royal frère. Deuxième sur
la lignée des postulants au poste, il n’a pas su attendre son tour. Jaloux des
avantages dont bénéficie son aîné, il réussit par pouvoir mystique, corruption
des sages, à anéantir celui-ci avant de lui prendre sa place. C’est le
prototype de l’homme politique avec plusieurs squelettes dans les tiroirs mais
qui s’affichent le plus propre et à même de diriger le peuple. Sauf qu’en
réalité, les abus injustes finissent par rattraper. Lorsque l’on s’accapare
d’un pouvoir qui n’est pas sien, les revers ne tardent pas et l’on jouit
difficilement de ce pourquoi on s’est battu. Non seulement son règne est
éphémère, mais le fils pour lequel il trahissait doublement la communauté, en
lui apprêtant arrogamment le trône et en lui arrachant sa fiancée des mains de
son neveu, s’est retrouvé aux travers des textes sacrés du royaume. Toutes les
tentatives pour négocier une clémence étant vaines, il dut commettre un double
crime, le filicide et le suicide. Moralité, même s’il est admis de se battre
pour un pouvoir, il reste des limites humainement infranchissables.
Aralamo
Pire qu’Adéogoun, c’est le
genre de personnages et de personnalités qui pourrissent la vie sociale par
l’étalage de leur immonde moralité. Opportuniste alerte, il sait par où prendre
pour se remplir les poches au détriment de la communauté. Ejecté de son poste
de député du peuple par Adigoun, pour corruption, il a su reprendre ce même
poste à la faveur de l’assassinat de celui, dont il s’est fait complice Pire,
jugeant les fonds alloués pour l’organisation du festival des cultes
insuffisants, il pu convaincre le roi, non seulement de les augmenter mais de
les gérer en tendant des pièges aux autres sages qui, la bouche déjà pleine
adopterait la position des trois singes quand lui Aralamo, serait coupable de
corruption.
C’est le personnage qui a tôt
fait de comprendre Kadé, dans Le ministre
et le griot du camerounais Francis Bebey. En effet, pour celui-ci, même un
repas est un investissement. Lui Aralamo, sait qu’au-delà du repas, sa propre
fille, dans la famille royale serait un grand atout pour plus tard. Il pourra peut-être
prétexter de cette alliance pour justifier un sang royal et devenir roi. On a
bien vu dans l’histoire comment Agadja, roi d’Abomey a conquis Savi en offrant sa
fille au roi. On sait aussi que dans certains pays africains certains ministres
n’hésitent pas à offrir leur fille au grand chef afin de gravir les échelons
rapidement.
Aralamo aura ainsi réuni les caractéristiques du
politicien parfait, capables de mentir, de trahir, de détourner, de savoir
investir pour conquérir ou conserver son poste et évidemment, les avantages y
afférents. Mais le narrateur a su le punir aussi en tuant sa fille, mettant du
coup fin à tous ses espoirs.
Adéyêmi
C’est le personnage idéalisé
dans le roman. Le narrateur a su le ménager, lui conférant le beau rôle de la
victime comblée. Victime, il l’est en effet triplement. Victime de l’assassinat
de son père, de la trahison de son oncle qui passa outre les révélations de
l’Ifa, et enfin de la contrainte au suicide de sa fiancée. C’est l’Ulysse du
roman, sauf que malheureusement, Ojouola-Pénélope, était rendue indigne de lui
et n’a pas pu l’attendre.
C’est le genre de personnage,
fataliste, mais à qui le sort donne raison. Il n’a pas levé le moindre petit
doigt suite aux manigances de son oncle Adéogoun pour lui subtiliser le
pouvoir. Bien qu’il sache que la mort de son père n’était pas naturelle, il n’a
pas su réagir. Il était pourtant dans les confidences du père qui lui parla de
son songe: son frère Adéogoun qui parle à travers le corps d’Aralamo. C’était suffisant pour que
dès la mort, il puisse prendre des dispositions. Mais rien n’y fit. Tout ce
qu’il a pu faire c’est d’achever l’œuvre entamée par son père en allant à la
recherche de l’Aagan et en revenant en héros. Et même là, c’était sans
conviction. Il devrait le faire. C’est en quelque sorte pour lui, finir le
travail de son père et non agir en vue d’obtenir gain de cause par rapport aux
multiples injustices. Même quand sa fiancée lui a révélé ses rêves, il a
également montré une grande passivité. L’on ne saurait comprendre que dans la
même culture où le père consulta rapidement le Ifa pour savoir de quoi retourne
son rêve, Adéyêmi soit resté à faire des interprétations d’intellectuels. Il
aurait pu prendre aussi des dispositions ou assurer sa garde quand il partait à
la recherche de l’Aagan. C’est possible aussi que Ojuoala, soit le prix qu’il a
payé non seulement pour ramener le Aagan, mais aussi pour mériter le trône.
Adéjo
Adéjo est le genre d’intellectuels
africains qui, parce qu’ayant fait des études supérieures à l’étranger, croient comme le leur ont
enseigné leur maitres les Blancs que tout ce que l’Afrique a comme valeurs est Féticio, artificiel en portugais. En
effet, revenu au pays à l’occasion d’un festival au culte, il découvre
fortuitement qu’il est prince héritier donc citoyen plénipotentiaire. Il peut
donc briser tous les interdits, jouer à l’iconoclaste en feignant tout
maîtriser pour ne rien savoir à la fin. Prétentieux, égoïste et espiègle, il
croit que les filles du village pourrait être aussi faciles et attirées par le
matérialisme, se laisser à lui. La décadence de l’occident selon le terme de Ken
Bugul dans Le baobab fou, auquel il a
assisté, l’a convaincu que le monde entier est en perte de vitesse. Véritable
goujat, il n’a pas su courtiser une fille dans les règles. Tout ce qu’il a
trouvé à faire, c’est de l’endormir afin d’abuser d’elle.
Sa mort est une véritable
punition et un témoignage vivant du respect que chacun doit à une culture quel
qu’elle soit. Se mettre dans un couvent et le profaner. Quand Pythagore
mettait, « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre », il était conscient
du sacré de ses lieux. Un couvent le reste. Définitivement. Point n’a besoin d’aller
le pourfendre. C’est vrai qu’il meurt par empoissonnement, mais en réalité,
c’est lui-même qui est tombé dans les travers de la société. On peut ne pas
croire en des principes, mais il serait sage de garder son incrédulité et de ne
pas provoquer. Adéjo, comme Dossou dans L’arbre
fétiche de Jean Pliya, l’aura appris au dépend de sa propre vie.
Ojuoola
C’est la promise d’Adéyêmi.
Très amoureuse, elle sait avant tout que les querelles parentales n’ont rien à
voir avec les enfants et que, contre vents et marrées, il faille sauver les
sentiments qu’elle éprouve pour son homme. Victime d’abus grave de confiance et de viol, elle a préféré
mettre fin à ses jours pour éviter d’essuyer la honte sociale. Honte parce
qu’elle est devenue indigne de son homme, honte parce qu’elle aurait peut-être
été contrainte de se marier à Adéjo qu’elle n’aimait pas et qui l’a déshonoré,
honte enfin parce que, de ce crime aurait pu naître un enfant qu’elle serait
obligée de voir toute sa vie, comme le fruit de sa naïveté.
L’esprit chevaleresque prônée
par l’antiquité fait surface ici et indique qu’en réalité, comme l’affirme Paul
Hazoumè dans Doguicimi, toutes les
sociétés, à un moment donné de leur histoire sont passées par des étapes peu
glorieuses ou fastes. Les mêmes valeurs sont communes aux peuples et ce n’est
pas Descartes qui démentirait quand il déclare que le bon sens est la chose la
mieux partagée de l’humanité.
Toun
Sœur d’Adéjo, elle a joué le
mauvais rôle dans le récit. Traîtresse, elle n’a pas su rendre à sa cousine la
confiance qu’elle lui a accordée. Matérialiste au plus grand degré, elle a été
capable de livrer Ojouola contre quelques cadeaux offerts par son frère. Naïve elle
n’a pas su s’imaginer la gravité de cette trahison. En fait, certainement
vierge elle aussi, elle ne pouvait savoir ce que cela représenterait pour sa
cousine. La responsable de la mort de Ojuola, c’est d’abord elle.
Les
sages
Aro, Abese, Erulu, Alapini,
Aron, sont les quelques sages présents dans le récit. C’est l’incarnation de
l’opportunisme même politique. Prêts comme les conseillers de l’Empereur dans La bataille du trône d’Apollinaire
Agbazahou, à se dénier, à trahir, à soudoyer pour l’argent. C’est la division
affichée entre eux qui a conduit Adéogoun à s’accaparer injustement du pouvoir.
Leur seul mérite, c’est la fermeté observée au niveau d’Adéjo et du roi, pour
avoir enfreint aux principes secrets.
Oloufadé
Le prêtre fâ qui contrairement à ce qu’on
observe a su respecter la science qu’il profère. On en a vu, nombreux qui se
font complices des corrompus pour tordre le cou à la vérité. Sa fidélité au roi
et à ses principes est légendaire. On peut lui reprocher par contre de ne pas
agir rapidement afin d’éviter la mort mystique d’Adigoun.
Tous ces personnages qui ont
fait progresser le récit peuvent se retrouver dans des fonctions consignées au
niveau du schéma actanciel suivant :
SCHEMA
ACTANCIEL DE GREIMAS, EXPRIMANT L’ACTION D’ADEYEMI DANS AAGAN
Ente
tradition et modernité, Aagan, un récit spatio-temporel ouvert
Le narrataire est plongé dans
Aagan par un décor nocturne frais. La ville d’Illé-Atchè qui sert de cadre
d’action est présentée en effet à une heure avancée de la nuit : deux
heures du matin. Une heure où les habitants sont supposés être au repos, pour
la plupart dans les bras de Morphée. Mais le paradoxe est que le calme et la
paix évoqués au départ sont déchirés, régulièrement, par des bruits. Ce cadre
quiet, est tourmenté par un temps abject.
Des camions-titan en transit,
des chiens qui aboient, des chats qui miaulent, des chouettes qui hululent. Le
narrateur évoque le signe que ces derniers bruits représentent pour l’initié.
Mais en narratologie, ce rappel est un faux suspense. En effet, si le calme de
la nuit est brisé par un bruit quel qu’il soit, le signe est clair que la
quiétude des personnages sera menacée. Le bruit, élément modificateur dans ce
cas, est pris pour un signe annonciateur des bouleversements prochains et
certains. Et lorsque l’on rentre dans le domaine occulte, les chouettes et les
hiboux, comme il est évoqué, ne peuvent crier gratuitement la nuit. A cela
s’ajoutent la colère de la nature qui se manifeste par un grand vent. Du temps
calme, l’on passe à la tempête.
Le cadre spatio-temporel est
ainsi présenté comme pour planter le décor des tragédies futures. Le récit est
également très évocateur sur les victimes de ces tragédies. En effet, l’action
du temps, oxymorique sur l’espace conduit le narrataire vers un micro espace
qui est l’attention de tous les habitants, mais qui captera tous les lecteurs :
le palais royal. Le mouvement de cette tempête n’est pas non plus anodin. De la
lagune vers le palais. La lagune, c’est un cours d’eau qu’exploitent les
habitants pour leurs besoins vitaux : la pêche, le commerce, le tourisme…
Mais lorsqu’une tempête quitte ce cours d’eau pour la ville, plus précisément
pour la maison d’un roi par ailleurs grand chef des initiés, c’est un signal
fort.
L’eau est en effet le liquide
le plus précieux que toutes les religions, révélées comme traditionnelles
utilisent. Le baptême de Jésus par exemple s’est fait dans le Jourdain par
Jean-Baptiste. C’est avec l’eau que le sacrément baptismal est donné dans la
plupart des religions. Le cours d’eau est ainsi un réceptacle de tous les
esprits que les initiés qui savent les dompter utilisent à des fins diverses. C’est ce qu’évoque
d’ailleurs Dominique Titus dans Où est
passé Fatima, où il indique que le féticheur bénéficie des bienfaits de la
nature parce qu’il sait la protéger. Les initiés qui s’occupent des cours d’eau
reçoivent ainsi la protection des esprits qui les habitent. Quand Birago Diop
évoque ses souffles, il a clairement indiqués que les morts qui sont désormais
esprits ne sont pas morts : « ils sont dans l’eau qui coule »
etc.
En réalité, c’est un message
clair qui est envoyé au Baalè depuis la lagune. Un message mystique qui lui est
transmis à travers un rêve. C’est d’ailleurs vers la lagune que le egun qui
s’est présenté à lui dans son espace onirique s’est retourné. La conclusion est
très claire : c’est le egun qui a quitté la lagune et s’est rendu chez le
roi sous la forme d’une tempête. Le rôle
mystique de la lagune est ainsi révélé et
elle devient comme un adjuvent dans la progression du récit.
C’est dans le palais présenté
en plein jour que sera dévoilé le message au roi par un homme et une méthode
tous aussi mystiques. Le palais et le trône sont menacés par de gens
insoupçonnés. Une grande prudence et une méfiance sont à observer à l’égard de
tous, même des plus proches. Le prêtre de fâ Oloufadé qui a fait les
révélations savait certainement que le message qui a fait sortir le egun de
l’eau, n’était pas à prendre à la légère. Il savait sûrement le Baalè condamné
sinon, il n’aurait pas effectué un départ si précipité. Lui qui est la
solution, qui a les solutions, fuir alors que le danger est clair ?
A cette vérité diurne succéda
un décor nocturne. Une nuit noire tombée sur un quartier qui n’a rien du nom
qu’il porte : Suru. Suru en Yorouba et emprunté par plusieurs langues du
sud Bénin signifie la patience. Mais, ni Aralamo, ni Adéogoun n’ont en leur possession,
ce caractère. En effet, c’est à la recherche rapide du gain facile que Aralamo
s’est lancé dans la corruption et a été limogé par Adigoun. Adéogoun, frère
d’Adigoun, deuxième sur la liste des prétendants au trône n’a pas voulu
patienter pour avoir son tour, du moins, n’a pas voulu attendre la mort de son
frère aîné qui préparerait à coup sûr son fils Adéyêmi. C’est donc sous la
noirceur de la nuit qu’ils ont ourdi un dessein macabre afin d’éliminer le
Baalè Adigoun. La narration simultanée des faits a démontré en quoi les
incantations et les rituels ont eu raison de celui-ci. Des rituels exécutés
dans la brousse en pleine nuit, loin de tous regards, dans une atmosphère de
peur, accentuée par les chants d’oiseaux reconnus comme dangereux.
Mais si le rituel nocturne a
été bénéfique à Adigoun dans la brousse, c’est dans les mêmes conditions
qu’Adéyêmi ira à la recherche du Aagan, début de la descente aux enfers de
Adéogoun. En effet, tant la forêt a servi à faire le mal, tant elle va
permettre au fils d’Adigoun de rentrer dans ses droits. La forêt garde en elle
autant de bienfaits mystiques que l’eau. C’est d’ailleurs une combinaison des
deux qui va faire sortir le Aagan. La recherche a conduit ainsi Adéyèmi, de la
forêt à la plage, où le Aaagan transformé s’est retrouvé, perché sur un
cocotier. Un arbre tout aussi mystique connu pour son fruit, le coco, couvant
une eau de source mystérieuse.
Le mystère est présent dans
presque tous les cadres du texte à tel enseigne que Adéjo, profanateur et faux
iconoclaste, s’est retrouvé piégé au couvent du Egungun. Le cadre simple de ces
lieux lui a certainement fait croire à la banalité des objets. Mais mal lui en
a pris. Cet espace clos qui était censé lui apporter un peu de prestige auprès
de ses copains allemands, s’est transformé en un cauchemar mortel pour lui. Il
ne s’en sortira jamais, contraignant son géniteur à un filicide, puis à un
suicide.
Ainsi, si l’espace du récit
est globalement ouvert- on peut passer
de la lagune à la ville sans obstacle, du palais au quartier Suru, du quartier
à l’hôtel sur les hauteurs de Ita Olowo où ont résidé Adéjo et ses amis, au
marché centrale ou l’école catholique…, de la ville à la brousse puis à la
forêt, puis à la plage. Mais plusieurs micro espaces sont révélés clos et
infernal pour certains personnages. Adigoun ne sortira jamais de son palais
avant l’ultime heure. Ojouola a connu l’enfer dans cet hôtel avant de finir ses
jours dans la maison paternelle. Adéogoun et Adéjo connaitront leur enfer là
d’où sort le egun gun protecteur de beaucoup de familles.
L’ouverture de l’espace a
atteint l’extérieur même s’il n’est qu’évoqué, d’où sont venus Adéjo et ses
amis. L’Allemagne. Le récit n’est pas fermé donc.
Le temps spatial, ici
symbolique qui éclaire la compréhension de l’espace, cède sa place au temps
historique. En effet, même si le cadre est fortement traditionnel, des indices
historiques permettent de situer le récit. L’évocation de la ville carrefour,
frontière, certainement entre le Bénin et le Nigeria, avec la ville d’Igbo et
qui permet au camion-titan de passer même à deux heures du matin, place le
récit dans des périodes contemporaines. La
construction et l’aménagement de la ville, l’évocation des trois religions,
musulmane, catholique et traditionnelle, conforte cette thèse de récit moderne.
Mieux, nous avons l’évocation des diplôme tels que le PHD, les appareils
modernes tels que la camera, les appareils photos, l’avion.
En résumé, nous avons une
histoire traditionnelle qui se déroule dans une ville du Bénin, probablement
Kétou, qui prend des allures fantastiques il est vrai, mais qui est loin d’être
irréaliste. Les faits évoqués, bien que réservés aux initiés, sont
vraisemblables. Rien qu’à imaginer les foules que drainent les séances de danse
egun egun dans les grandes villes du pays, on croire en la véracité de
l’histoire.
Anicet Fyoton
MEGNIGBETO
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire