lundi 21 août 2017

Aagan de Abdel Hakim Amzat



Sacres et sacrilèges du culte Egugun. 

Par Anicet Fyoton MEGNIGBETO

Le narrataire  sort d’Aagan comme d’un parcours initiatique, non seulement du culte des Egugun, mais aussi de la tradition yorouba. Tellement l’isosémie et l’isotopie narrative respirent ce peuple de l’Est du Bénin.
Installée au cœur d’une royauté en effet, la trame narrative de ce récit hétérodiégétique plonge dans les méandres d’une famille princière qui n’aura pas dérogé à la règle épique et fantastique des dynasties où coups bas, intrigues, mesquineries, jalousies et amour se mêlent et cimentent le quotidien des courtisans.
Cette étude qui se veut panoramique, est une analyse de contenu pour nous prolonger dans la truculence de la série de récits que nous offre Abdel Hakim Laleye.
Mais avant de faire cette incursion dans Aagan, une mise au point semble indispensable quant aux personnages du roman. Tellement l’onomastique joue sur l’euphonie pour nous présenter des paronymes presque parfaits.
Les deux frères Baalè confirment notamment ce jeu phonique avec Adigoun et Adéogoun. On s’y perd facilement. C’est certainement la divinité qu’il vénère qui leur confère ce suffixe « goun », un diminutif de « Ogoun » nom de la divinité yorouba, celle qui s’occupe du fer dans le panthéon fon, le correspondant d’Héphaïstos chez les grecs.  Des entrailles de ces deux est sortie une progéniture qui partage non le suffixe, mais le préfixe : « Adé » « la couronne », certainement pour indiquer qu’ils sont fils et filles de roi, appelés à porter la couronne ou à l’incarner. Adéyêmi, Adéjo, Adésewa, Adétoun, Jolaade, vont former avec la famille Aralamo et les sages, l’univers des personnages de ce roman.
Une famille nucléaire africaine cependant à l’antipode des réalités, tant elle se retrouve être réduite Une épouse, deux ou trois enfants. Ce n’est vraiment pas la norme. La conception de « l’enfant richesse » contraint les souverains parfois contre leur gré à épouser quarante –et une femme. Même si, comme l’a souligné Kowanou Houénou dans Les enfants de la poubelle, elles ne sont pas vraiment des épouses ou comme le suggère Ken Bugul dans Riwan ou le chemin de sable, elles ne constituent qu’un décor pour l’homme, se mariant uniquement pour les avantages sociaux et éventuellement terrestres. Le Ndigueul. Toujours est-il que la conception de la famille dans cet ouvrage se révèle une exception africaine. Peut-être qu’avec les données modernes introduites, l’auteur a voulu aussi moderniser la royauté Yorouba. La famille nucléaire aussi.
Le narrataire peut se retrouver dans la tentative d’arbre généalogique suivante.



 





                                                
Zone de Texte: Aralamo AdéogounZone de Texte: AdéogounZone de Texte: Adigoun                                                                                                           
                                                                                                           
                        
                      Adéyêmi -                        Adéjo                           ojuola
                       Adésewa                              Adétoun                          Asabi (femme)
                      Jolaade

ARBRE GENEALOGIQUE DE LA FAMILLE BAALAE DANS AAGAN
 Ce préalable qui remet chacun des personnages à son statut, nous permet aisément de rentrer dans leur psychologie afin d’avoir une idée assez positive de ce que représente chacun d’eux.
Le premier d’entre eux dans l’ordre de la présentation dans l’ouvrage se trouve être Adigoun, le Baalè et ainé de la famille.
Adigoun
Baalè, c’est-à-dire souverain détenteur des pouvoirs aussi bien naturels que mystiques du royaume. Le narrateur le présente comme un roi débonnaire, agissant comme il faut, prenant tous ses sujets comme étant respectueux de son trône. Il a su gérer le royaume dans la dignité, combattant réellement la corruption- il a destitué Aralamo de son poste pour corruption – continuant à croire que sa place est si naturellement acquise que rien ne pouvait la lui arracher. Sa mort brutale, est peut-être un moyen pour le narrateur de le punir de sa naïveté. Un prince au trône doit toujours rester vigilent et méfiant, même vis-à-vis de son entourage proche, car celui qui sait que la place lui échouerait à la disparition de l’occupant, ne reste jamais tranquille. C’est certes sadique, mais le pouvoir est machiavélique. Ses réalités dépassent l’entendement humain. Ainsi si l’on pourrait louer la magnanimité d’Adéogoun, l’on ne saurait tolérer sa passivité. Mais c’est l’une des réalités du pouvoir sur lequel l’auteur a mis l’accent afin d’édifier.
Adéogun
S’il y a un personnage du texte qui incarne Tartuffe, c’est bien le Baalè Adéogoun. Pire que le faux prêtre dans Les confessions du Pr de Daté Barnabé-Akayi, qui au moins s’est présenté à visage déguisé, c’est de loin et de façon mystique que lui a scellé le sort de son royal frère. Deuxième sur la lignée des postulants au poste, il n’a pas su attendre son tour. Jaloux des avantages dont bénéficie son aîné, il réussit par pouvoir mystique, corruption des sages, à anéantir celui-ci avant de lui prendre sa place. C’est le prototype de l’homme politique avec plusieurs squelettes dans les tiroirs mais qui s’affichent le plus propre et à même de diriger le peuple. Sauf qu’en réalité, les abus injustes finissent par rattraper. Lorsque l’on s’accapare d’un pouvoir qui n’est pas sien, les revers ne tardent pas et l’on jouit difficilement de ce pourquoi on s’est battu. Non seulement son règne est éphémère, mais le fils pour lequel il trahissait doublement la communauté, en lui apprêtant arrogamment le trône et en lui arrachant sa fiancée des mains de son neveu, s’est retrouvé aux travers des textes sacrés du royaume. Toutes les tentatives pour négocier une clémence étant vaines, il dut commettre un double crime, le filicide et le suicide. Moralité, même s’il est admis de se battre pour un pouvoir, il reste des limites humainement infranchissables.
Aralamo
Pire qu’Adéogoun, c’est le genre de personnages et de personnalités qui pourrissent la vie sociale par l’étalage de leur immonde moralité. Opportuniste alerte, il sait par où prendre pour se remplir les poches au détriment de la communauté. Ejecté de son poste de député du peuple par Adigoun, pour corruption, il a su reprendre ce même poste à la faveur de l’assassinat de celui, dont il s’est fait complice Pire, jugeant les fonds alloués pour l’organisation du festival des cultes insuffisants, il pu convaincre le roi, non seulement de les augmenter mais de les gérer en tendant des pièges aux autres sages qui, la bouche déjà pleine adopterait la position des trois singes quand lui Aralamo, serait coupable de corruption. 
C’est le personnage qui a tôt fait de comprendre Kadé, dans Le ministre et le griot du camerounais Francis Bebey. En effet, pour celui-ci, même un repas est un investissement. Lui Aralamo, sait qu’au-delà du repas, sa propre fille, dans la famille royale serait un grand atout pour plus tard. Il pourra peut-être prétexter de cette alliance pour justifier un sang royal et devenir roi. On a bien vu dans l’histoire comment Agadja, roi d’Abomey a conquis Savi en offrant sa fille au roi. On sait aussi que dans certains pays africains certains ministres n’hésitent pas à offrir leur fille au grand chef afin de gravir les échelons rapidement.
Aralamo  aura ainsi réuni les caractéristiques du politicien parfait, capables de mentir, de trahir, de détourner, de savoir investir pour conquérir ou conserver son poste et évidemment, les avantages y afférents. Mais le narrateur a su le punir aussi en tuant sa fille, mettant du coup fin à tous ses espoirs.
Adéyêmi
C’est le personnage idéalisé dans le roman. Le narrateur a su le ménager, lui conférant le beau rôle de la victime comblée. Victime, il l’est en effet triplement. Victime de l’assassinat de son père, de la trahison de son oncle qui passa outre les révélations de l’Ifa, et enfin de la contrainte au suicide de sa fiancée. C’est l’Ulysse du roman, sauf que malheureusement, Ojouola-Pénélope, était rendue indigne de lui et n’a pas pu l’attendre.
C’est le genre de personnage, fataliste, mais à qui le sort donne raison. Il n’a pas levé le moindre petit doigt suite aux manigances de son oncle Adéogoun pour lui subtiliser le pouvoir. Bien qu’il sache que la mort de son père n’était pas naturelle, il n’a pas su réagir. Il était pourtant dans les confidences du père qui lui parla de son songe: son frère Adéogoun qui parle à travers le  corps d’Aralamo. C’était suffisant pour que dès la mort, il puisse prendre des dispositions. Mais rien n’y fit. Tout ce qu’il a pu faire c’est d’achever l’œuvre entamée par son père en allant à la recherche de l’Aagan et en revenant en héros. Et même là, c’était sans conviction. Il devrait le faire. C’est en quelque sorte pour lui, finir le travail de son père et non agir en vue d’obtenir gain de cause par rapport aux multiples injustices. Même quand sa fiancée lui a révélé ses rêves, il a également montré une grande passivité. L’on ne saurait comprendre que dans la même culture où le père consulta rapidement le Ifa pour savoir de quoi retourne son rêve, Adéyêmi soit resté à faire des interprétations d’intellectuels. Il aurait pu prendre aussi des dispositions ou assurer sa garde quand il partait à la recherche de l’Aagan. C’est possible aussi que Ojuoala, soit le prix qu’il a payé non seulement pour ramener le Aagan, mais aussi pour mériter le trône.

Adéjo
Adéjo est le genre d’intellectuels africains qui, parce qu’ayant fait des études supérieures  à l’étranger, croient comme le leur ont enseigné leur maitres les Blancs que tout ce que l’Afrique a comme valeurs est Féticio, artificiel en portugais. En effet, revenu au pays à l’occasion d’un festival au culte, il découvre fortuitement qu’il est prince héritier donc citoyen plénipotentiaire. Il peut donc briser tous les interdits, jouer à l’iconoclaste en feignant tout maîtriser pour ne rien savoir à la fin. Prétentieux, égoïste et espiègle, il croit que les filles du village pourrait être aussi faciles et attirées par le matérialisme, se laisser à lui. La décadence de l’occident selon le terme de Ken Bugul dans Le baobab fou, auquel il a assisté, l’a convaincu que le monde entier est en perte de vitesse. Véritable goujat, il n’a pas su courtiser une fille dans les règles. Tout ce qu’il a trouvé à faire, c’est de l’endormir afin d’abuser d’elle.
Sa mort est une véritable punition et un témoignage vivant du respect que chacun doit à une culture quel qu’elle soit. Se mettre dans un couvent et le profaner. Quand Pythagore mettait, « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre », il était conscient du sacré de ses lieux. Un couvent le reste. Définitivement. Point n’a besoin d’aller le pourfendre. C’est vrai qu’il meurt par empoissonnement, mais en réalité, c’est lui-même qui est tombé dans les travers de la société. On peut ne pas croire en des principes, mais il serait sage de garder son incrédulité et de ne pas provoquer. Adéjo, comme Dossou dans L’arbre fétiche de Jean Pliya, l’aura appris au dépend de sa propre vie.  
Ojuoola
C’est la promise d’Adéyêmi. Très amoureuse, elle sait avant tout que les querelles parentales n’ont rien à voir avec les enfants et que, contre vents et marrées, il faille sauver les sentiments qu’elle éprouve pour son homme. Victime d’abus grave  de confiance et de viol, elle a préféré mettre fin à ses jours pour éviter d’essuyer la honte sociale. Honte parce qu’elle est devenue indigne de son homme, honte parce qu’elle aurait peut-être été contrainte de se marier à Adéjo qu’elle n’aimait pas et qui l’a déshonoré, honte enfin parce que, de ce crime aurait pu naître un enfant qu’elle serait obligée de voir toute sa vie, comme le fruit de sa naïveté.
L’esprit chevaleresque prônée par l’antiquité fait surface ici et indique qu’en réalité, comme l’affirme Paul Hazoumè dans Doguicimi, toutes les sociétés, à un moment donné de leur histoire sont passées par des étapes peu glorieuses ou fastes. Les mêmes valeurs sont communes aux peuples et ce n’est pas Descartes qui démentirait quand il déclare que le bon sens est la chose la mieux partagée de l’humanité.

Toun
Sœur d’Adéjo, elle a joué le mauvais rôle dans le récit. Traîtresse, elle n’a pas su rendre à sa cousine la confiance qu’elle lui a accordée. Matérialiste au plus grand degré, elle a été capable de livrer Ojouola contre quelques cadeaux offerts par son frère. Naïve elle n’a pas su s’imaginer la gravité de cette trahison. En fait, certainement vierge elle aussi, elle ne pouvait savoir ce que cela représenterait pour sa cousine. La responsable de la mort de Ojuola, c’est d’abord elle.
Les sages
Aro, Abese, Erulu, Alapini, Aron, sont les quelques sages présents dans le récit. C’est l’incarnation de l’opportunisme même politique. Prêts comme les conseillers de l’Empereur dans La bataille du trône d’Apollinaire Agbazahou, à se dénier, à trahir, à soudoyer pour l’argent. C’est la division affichée entre eux qui a conduit Adéogoun à s’accaparer injustement du pouvoir. Leur seul mérite, c’est la fermeté observée au niveau d’Adéjo et du roi, pour avoir enfreint aux principes secrets.
Oloufadé
  Le prêtre fâ qui contrairement à ce qu’on observe a su respecter la science qu’il profère. On en a vu, nombreux qui se font complices des corrompus pour tordre le cou à la vérité. Sa fidélité au roi et à ses principes est légendaire. On peut lui reprocher par contre de ne pas agir rapidement afin d’éviter la mort mystique d’Adigoun.

Tous ces personnages qui ont fait progresser le récit peuvent se retrouver dans des fonctions consignées au niveau du schéma actanciel suivant :


Zone de Texte: Destinateur                                                                      Objet                                                                  Destinataire
Adigoun                                                                      Devenir Baalè                                                             Adéyêmi    






Opposants                                                                         Sujet                                                                     Adjuvants
                                                                                       Adéyêmi     
 




































Zone de Texte: Adéogoun ; Abese, Aron
Aralamo ; Adéjo ; Apena
Zone de Texte: Adigoun- Ifa-Oloufadé- Alapini- Ojouola
 












SCHEMA ACTANCIEL DE GREIMAS, EXPRIMANT L’ACTION D’ADEYEMI DANS AAGAN











Ente tradition et modernité, Aagan, un récit spatio-temporel ouvert
Le narrataire est plongé dans Aagan par un décor nocturne frais. La ville d’Illé-Atchè qui sert de cadre d’action est présentée en effet à une heure avancée de la nuit : deux heures du matin. Une heure où les habitants sont supposés être au repos, pour la plupart dans les bras de Morphée. Mais le paradoxe est que le calme et la paix évoqués au départ sont déchirés, régulièrement, par des bruits. Ce cadre quiet, est tourmenté par un temps abject.
Des camions-titan en transit, des chiens qui aboient, des chats qui miaulent, des chouettes qui hululent. Le narrateur évoque le signe que ces derniers bruits représentent pour l’initié. Mais en narratologie, ce rappel est un faux suspense. En effet, si le calme de la nuit est brisé par un bruit quel qu’il soit, le signe est clair que la quiétude des personnages sera menacée. Le bruit, élément modificateur dans ce cas, est pris pour un signe annonciateur des bouleversements prochains et certains. Et lorsque l’on rentre dans le domaine occulte, les chouettes et les hiboux, comme il est évoqué, ne peuvent crier gratuitement la nuit. A cela s’ajoutent la colère de la nature qui se manifeste par un grand vent. Du temps calme, l’on passe à la tempête.
Le cadre spatio-temporel est ainsi présenté comme pour planter le décor des tragédies futures. Le récit est également très évocateur sur les victimes de ces tragédies. En effet, l’action du temps, oxymorique sur l’espace conduit le narrataire vers un micro espace qui est l’attention de tous les habitants, mais qui captera tous les lecteurs : le palais royal. Le mouvement de cette tempête n’est pas non plus anodin. De la lagune vers le palais. La lagune, c’est un cours d’eau qu’exploitent les habitants pour leurs besoins vitaux : la pêche, le commerce, le tourisme… Mais lorsqu’une tempête quitte ce cours d’eau pour la ville, plus précisément pour la maison d’un roi par ailleurs grand chef des initiés, c’est un signal fort.
L’eau est en effet le liquide le plus précieux que toutes les religions, révélées comme traditionnelles utilisent. Le baptême de Jésus par exemple s’est fait dans le Jourdain par Jean-Baptiste. C’est avec l’eau que le sacrément baptismal est donné dans la plupart des religions. Le cours d’eau est ainsi un réceptacle de tous les esprits que les initiés qui savent les dompter utilisent  à des fins diverses. C’est ce qu’évoque d’ailleurs Dominique Titus dans Où est passé Fatima, où il indique que le féticheur bénéficie des bienfaits de la nature parce qu’il sait la protéger. Les initiés qui s’occupent des cours d’eau reçoivent ainsi la protection des esprits qui les habitent. Quand Birago Diop évoque ses souffles, il a clairement indiqués que les morts qui sont désormais esprits ne sont pas morts : « ils sont dans l’eau qui coule » etc.
En réalité, c’est un message clair qui est envoyé au Baalè depuis la lagune. Un message mystique qui lui est transmis à travers un rêve. C’est d’ailleurs vers la lagune que le egun qui s’est présenté à lui dans son espace onirique s’est retourné. La conclusion est très claire : c’est le egun qui a quitté la lagune et s’est rendu chez le roi sous la forme d’une tempête.  Le rôle mystique de la lagune est ainsi révélé et  elle devient comme un adjuvent dans la progression du récit.
C’est dans le palais présenté en plein jour que sera dévoilé le message au roi par un homme et une méthode tous aussi mystiques. Le palais et le trône sont menacés par de gens insoupçonnés. Une grande prudence et une méfiance sont à observer à l’égard de tous, même des plus proches. Le prêtre de fâ Oloufadé qui a fait les révélations savait certainement que le message qui a fait sortir le egun de l’eau, n’était pas à prendre à la légère. Il savait sûrement le Baalè condamné sinon, il n’aurait pas effectué un départ si précipité. Lui qui est la solution, qui a les solutions, fuir alors que le danger est clair ?
A cette vérité diurne succéda un décor nocturne. Une nuit noire tombée sur un quartier qui n’a rien du nom qu’il porte : Suru. Suru en Yorouba et emprunté par plusieurs langues du sud Bénin signifie la patience. Mais, ni Aralamo, ni Adéogoun n’ont en leur possession, ce caractère. En effet, c’est à la recherche rapide du gain facile que Aralamo s’est lancé dans la corruption et a été limogé par Adigoun. Adéogoun, frère d’Adigoun, deuxième sur la liste des prétendants au trône n’a pas voulu patienter pour avoir son tour, du moins, n’a pas voulu attendre la mort de son frère aîné qui préparerait à coup sûr son fils Adéyêmi. C’est donc sous la noirceur de la nuit qu’ils ont ourdi un dessein macabre afin d’éliminer le Baalè Adigoun. La narration simultanée des faits a démontré en quoi les incantations et les rituels ont eu raison de celui-ci. Des rituels exécutés dans la brousse en pleine nuit, loin de tous regards, dans une atmosphère de peur, accentuée par les chants d’oiseaux reconnus comme dangereux.
Mais si le rituel nocturne a été bénéfique à Adigoun dans la brousse, c’est dans les mêmes conditions qu’Adéyêmi ira à la recherche du Aagan, début de la descente aux enfers de Adéogoun. En effet, tant la forêt a servi à faire le mal, tant elle va permettre au fils d’Adigoun de rentrer dans ses droits. La forêt garde en elle autant de bienfaits mystiques que l’eau. C’est d’ailleurs une combinaison des deux qui va faire sortir le Aagan. La recherche a conduit ainsi Adéyèmi, de la forêt à la plage, où le Aaagan transformé s’est retrouvé, perché sur un cocotier. Un arbre tout aussi mystique connu pour son fruit, le coco, couvant une eau de source mystérieuse.
Le mystère est présent dans presque tous les cadres du texte à tel enseigne que Adéjo, profanateur et faux iconoclaste, s’est retrouvé piégé au couvent du Egungun. Le cadre simple de ces lieux lui a certainement fait croire à la banalité des objets. Mais mal lui en a pris. Cet espace clos qui était censé lui apporter un peu de prestige auprès de ses copains allemands, s’est transformé en un cauchemar mortel pour lui. Il ne s’en sortira jamais, contraignant son géniteur à un filicide, puis à un suicide.
Ainsi, si l’espace du récit est globalement ouvert- on peut  passer de la lagune à la ville sans obstacle, du palais au quartier Suru, du quartier à l’hôtel sur les hauteurs de Ita Olowo où ont résidé Adéjo et ses amis, au marché centrale ou l’école catholique…, de la ville à la brousse puis à la forêt, puis à la plage. Mais plusieurs micro espaces sont révélés clos et infernal pour certains personnages. Adigoun ne sortira jamais de son palais avant l’ultime heure. Ojouola a connu l’enfer dans cet hôtel avant de finir ses jours dans la maison paternelle. Adéogoun et Adéjo connaitront leur enfer là d’où sort le egun gun protecteur de beaucoup de familles.
L’ouverture de l’espace a atteint l’extérieur même s’il n’est qu’évoqué, d’où sont venus Adéjo et ses amis. L’Allemagne. Le récit n’est pas fermé donc.
Le temps spatial, ici symbolique qui éclaire la compréhension de l’espace, cède sa place au temps historique. En effet, même si le cadre est fortement traditionnel, des indices historiques permettent de situer le récit. L’évocation de la ville carrefour, frontière, certainement entre le Bénin et le Nigeria, avec la ville d’Igbo et qui permet au camion-titan de passer même à deux heures du matin, place le récit dans des périodes contemporaines.  La construction et l’aménagement de la ville, l’évocation des trois religions, musulmane, catholique et traditionnelle, conforte cette thèse de récit moderne. Mieux, nous avons l’évocation des diplôme tels que le PHD, les appareils modernes tels que la camera, les appareils photos, l’avion.
En résumé, nous avons une histoire traditionnelle qui se déroule dans une ville du Bénin, probablement Kétou, qui prend des allures fantastiques il est vrai, mais qui est loin d’être irréaliste. Les faits évoqués, bien que réservés aux initiés, sont vraisemblables. Rien qu’à imaginer les foules que drainent les séances de danse egun egun dans les grandes villes du pays, on croire en la véracité de l’histoire.
   
Anicet Fyoton MEGNIGBETO

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